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Favre, par M. Grévy, par M. Picard lui-même, quant à la neutralité absolue admise par M. Émile Ollivier, nous prendrons la liberté de dire après M. le garde des sceaux que c’est un pur exercice académique. M. Émile Ollivier était sûrement de la plus parfaite bonne foi ; ce qu’il disait, il le pensait. Malheureusement ce jour-là il était dans les nuages, et c’est son collègue de l’intérieur, M. Chevandier de Valdrôme, qui a dit le mot vrai, sensé, politique, en déclarant que le système des candidatures officielles avait disparu avec le régime de 1852, mais que le gouvernement ne pouvait renoncer au droit d’attester ses préférences, d’avouer ses amis. Qu’on nous comprenne bien : nous n’avons nullement l’idée de mettre deux ministres en guerre et de détacher une pierre de cet inébranlable édifice du 2 janvier dont parlait M. le comte Daru. Nous tenons au contraire l’édifice pour utile, et nous souhaitons qu’il dure. Il n’est pas moins certain que, surpris par une bourrasque parlementaire, M. le ministre de la justice a parlé en théoricien, peut-être aussi en tacticien, nullement en homme d’état. Bien plus, il a promis ce qu’il ne peut pas tenir, ce que M. Grévy, M. Jules Favre, M. Picard, ne pourraient pas tenir mieux que lui, parce qu’il n’y a pas de promesse qui soit plus forte que la nature des choses.

Le gouvernement le voulût-il de la meilleure foi du monde, il ne pourrait pas se renfermer dans cette neutralité absolue dont M. le garde des sceaux fait un système. Est-ce qu’il n’y a pas mille circonstances où il intervient malgré lui, par le fait seul de son existence ? Des désordres éclatent, provoqués par des adversaires ; ils sont naturellement réprimés. M. le garde des sceaux croit-il qu’il ne sera pas accusé d’avoir manqué à ses promesses ? Des nouvelles infamantes sur les pouvoirs publics se répandent au moment d’un scrutin ; elles sont démenties par les moyens administratifs les plus prompts, on poursuit les auteurs de ces nouvelles, croit-on que le gouvernement ne sera pas accusé d’être intervenu ? Ces comités mêmes dont on suggère l’idée aux amis du gouvernement, est-ce qu’on ne les considérera pas comme une intervention déguisée ? La plus spirituelle et la plus sanglante critique du système de neutralité absolue de M. Émile Ollivier est la sanction que M. Picard a voulu lui donner tout aussitôt. M. Picard, qui a ordinairement plus de sens et plus de jugement politique, a présenté sans rire un projet édictant une amende contre toute personne qui prendrait la qualité de candidat du gouvernement. Bien entendu, on peut se dire candidat de l’opposition, candidat radical, candidat socialiste ; le gouvernement seul est un pestiféré qu’on ne peut avouer sans s’exposer à l’amende. Un interrupteur inconnu a laissé échapper le mot, « le gouvernement est un prévenu dans les élections ! » Et voilà comme on entend déjà le régime parlementaire ! Nous devons ajouter qu’un seul membre de l’opposition, M. Jules Simon, a eu le courage de désavouer