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humaine dépend de l’organisation, elle ne peut s’affranchir de ses propres lois ; mais de quel droit se plaindrait-elle de ne pouvoir dépasser les limites qui lui sont marquées, c’est-à-dire sortir d’elle-même, puisque dans son exercice normal elle n’est qu’un moyen nécessaire à la conservation de l’individu et au salut de l’espèce ? Pourquoi lui arrive-t-il de méconnaître cette humble destination ? Tant pis pour elle si le cerveau atteint peu à peu dans l’homme un développement parasite, et si elle-même, abusant de cet excès de forces et enivrée de sa propre puissance, au lieu de rester une faculté subalterne au service de la volonté, ose se poser comme le principe et la fin des choses, s’ériger en interprète de l’univers, en maîtresse souveraine de la vie ! A qui la faute si, commençant par se méconnaître et par oublier sa fonction naturelle, elle se heurte inutilement contre la borne infranchissable, et se plaint ensuite que l’accès de la vérité absolue lui soit interdit ? Si l’homme a tort de se plaindre des conditions imposées à son intelligence, il n’est pas mieux venu à se lamenter sur la malice ou l’imbécillité de sa nature. Qu’est-ce que l’homme ? Une manifestation du principe universel au même titre que tous les autres êtres de l’univers. Sa volonté, ou, pour parler exactement, la volonté qui est l’aveugle génératrice des choses, antérieure à toute intelligence, à toute idée, à tout choix, constitue le caractère fondamental de chaque individu, caractère que rien ne peut changer ni détruire. Chaque individu est ce qu’il est, il ne peut pas plus modifier ses tendances que son tempérament, son tempérament que sa figure. L’argile garde les traits qu’il plaît au potier de lui imprimer ; mais outre cette nature indestructible qui constitue son caractère transcendant, pour employer l’expression du philosophe, l’individu, considéré dans son histoire et dans la suite de sa vie tout entière, a un caractère empirique dont les manifestations sont soumises à la loi de causalité. Chaque action procède d’un mobile actuel ou idéal, comme chaque mouvement dans l’animal procède d’une sensation, chaque altération dans la plante de l’influence d’un stimulant, — chaque modification dans le cristal d’une force mécanique, physique ou chimique. La loi qui préside à l’enchaînement des idées et qui forme la nécessité logique, celle qui préside à la succession des phénomènes et qui forme la nécessité physique, celle qui préside aux relations dans l’espace et qui forme la nécessité géométrique, ont pour complément la loi qui préside à l’enchaînement des actions et des motifs, et qui forme la nécessité morale. Puisqu’il est borné dans son intelligence et assujetti dans sa volonté, que l’homme sache accepter sa condition, qu’il renonce à ce rêve insensé qu’on appelle le bonheur, qu’il abjure une fois pour toutes des ambitions toujours déçues, qu’il s’abstienne à jamais de récriminations sans objet et d’une puérile révolte