Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu n’offre pas les inconvéniens d’une nourrice à la campagne, et il sera souvent préférable pour l’enfant d’être nourri par une étrangère sous les yeux de sa mère, lorsque celle-ci sera d’une santé délicate, qu’elle aura peu de lait, ou même lorsqu’elle ne voudra pas sacrifier à ses devoirs les plaisirs ou mieux les fatigues des bals, des soirées, des réunions du monde ; mais dans toute autre circonstance des soins rémunérés ne vaudront jamais ceux qu’inspire l’amour maternel éclairé par l’éducation.

Les motifs qui s’opposent à l’allaitement maternel sont souvent beaucoup moins sérieux. Si l’amour de la mère commence dès la naissance de l’enfant, la tendresse paternelle ne s’éveille que plus tard, il faut que l’enfant cesse d’être une intelligence humaine à l’état d’ébauche ; il faut qu’il sache distinguer son père d’avec les autres personnes qui l’entourent, qu’il sache lui garder ses sourires, qu’il puisse lui tendre ses petits bras : aussi le mari est-il en général peu soucieux de se donner des ennuis auxquels il ne trouve aucune compensation. Il craint pour sa femme les fatigues, les maladies ; il lui semble pénible de la priver et de se priver lui-même des plaisirs du monde : aussi son avis formel est-il presque toujours de laisser à une nourrice le soin d’allaiter. Si la mère partage les mêmes sentimens, ou si elle est à peu près indifférente, il n’y a pas de discussion sérieuse, on prend une nourrice ; mais, si la femme a le ferme désir de remplir tous ses devoirs, le mari en appelle à l’autorité du médecin, et celui-ci, il faut l’avouer, lui vient trop souvent et trop facilement en aide. La mère renonce à un espoir longtemps caressé, et elle y renonce pour toujours, car elle ne veut pas créer d’inégalité dans sa jeune famille, et, n’ayant point allaité son premier-né, elle ne croit pas devoir nourrir aucun autre de ses enfans. Que les jeunes mères se pénètrent bien de cette vérité : on exagère beaucoup auprès d’elles les inconvéniens, les dangers de l’allaitement. Pénible, très douloureux parfois dans les premiers jours, il est ensuite facilement supporté, et quand on veut, quand on peut se conformer aux règles de l’hygiène, éviter les fatigues inutiles, se donner une bonne alimentation, régler l’appétit du nouveau-né, loin de s’altérer, la santé se consolide, s’améliore, et même à Paris il est peu de femmes qui ne puissent nourrir leur enfant.

La question la plus difficile à résoudre est aussi celle qui se présente le plus souvent. La mère est une jeune femme délicate, comme presque toutes les femmes du monde, comme beaucoup de Parisiennes ; son lait n’est que d’une abondance médiocre, les ressources pécuniaires du ménage, l’exiguïté de l’appartement, ne permettent pas de prendre une nourrice sur lieu : il faut ou envoyer l’enfant à la campagne ou se résoudre à l’éventualité d’avoir à combiner l’allaitement naturel et l’allaitement au biberon. En présence de cette