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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/499

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aujourd’hui tant de polémiques. Pendant quelque temps, on a eu l’air d’hésiter, de s’envelopper de diplomatie, puis tout d’un coup les batteries des partisans du dogme nouveau se sont découvertes, et les meneurs romains semblent vouloir conduire l’affaire au pas de charge, avec d’autant plus de vigueur qu’ils se sentent harcelés par les résistances, par une opposition grandissante. La cour de Rome, c’est sa force comme aussi c’est quelquefois sa faiblesse, ne s’inquiète guère des oppositions, elle est tour à tour patiente ou impérieuse, elle ne cesse pas de marcher à son but ; elle veut aujourd’hui l’infaillibilité de même qu’elle veut donner la sanction du dogme aux doctrines du Syllabus, c’est-à-dire à la condamnation des principes des sociétés modernes. Ceux qui ne voudront pas la suivre resteront en chemin, ce sera ce qu’on appelle d’un ton dégagé une épuration salutaire. Que sortira-t-il en définitive de cette tempête déchaînée entre la terre et le ciel ? On le saura plus tard. Pour le moment, un premier résultat est bien certain : en soulevant une question qu’il était si facile de laisser dormir, on a jeté le trouble dans le monde religieux, dans l’épiscopat français comme dans l’église universelle. Guerre entre le père Gratry et l’archevêque de Malines, M. Dechamps ; guerre entre M. Dupanloup et l’archevêque de Westminster ; guerre entre les théologiens de Rome et le premier des théologiens allemands, M. Dœllinger : la lutte est partout. Des évêques français couvrent de malédictions M. l’abbé Gratry pour ses brillantes et prévoyantes polémiques contre l’infaillibilité, d’autres le soutiennent. Il y a peu de jours encore, un homme qu’une mort prématurée vient d’enlever, qui a marqué par l’intrépidité de sa foi religieuse et l’éclat de son talent, M. de Montalembert, d’une main défaillante sous le poids du mal, mais d’un esprit toujours viril, protestait contre la doctrine qui veut faire une idole à Rome. Or dès aujourd’hui on peut se demander quelle autorité aura un dogme ainsi contesté d’avance, désavoué par les esprits les plus éminens et mis en suspicion aux yeux du monde catholique lui-même.

Voilà le premier résultat. Si la question restait dans une sphère purement religieuse, ce ne serait rien encore ; mais à l’heure qu’il est la politique s’en mêle et la confusion n’est pas près de diminuer. Jusqu’ici le gouvernement français s’était renfermé dans une stricte réserve ; il laissait faire, espérant probablement qu’on ne ferait rien. C’était le sens des explications données, il y a deux mois, par le ministre des affaires étrangères devant le sénat. Aujourd’hui, d’après toutes les apparences, on commence à sortir de cette expectante neutralité. M. le comte Daru a écrit à un prélat français de ses amis actuellement à Rome des lettres assez vertes qui nous sont revenues par l’Angleterre. Ce que M. Daru disait dans ses lettres, il l’a résumé, à ce qu’il paraît, dans une communication diplomatique qui a dû être transmise au cardinal Antonelli. Enfin le gouvernement français revendiquerait le droit d’en-