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couverte, que d’en pénétrer les secrets et de retrouver les notions lumineuses qu’elles répandent sur toutes choses. Plus tard, leur fortune a grandi, le spiritualisme a eu son règne officiel ; mais le public s’est refroidi, et l’a tenu pour suspect dès qu’il l’a vu trop puissant, et, quand est venu le jour de la disgrâce, ses rangs se sont éclaircis, les faux amis l’ont laissé là, et de sa suprématie passagère il ne lui est resté qu’une humble place, presque à niveau, parmi tous les systèmes conjurés à sa perte. Quand je vois aujourd’hui notre jeunesse, nos aspirans bacheliers, étudier avec le même ennui, la même indifférence, et ces systèmes plus ou moins chimériques et celui qui nous passionnait tant, quand je les vois tenir la balance égale entre des subtilités scolastiques et d’éternelles vérités qui auront toujours pour elles, même en dépit d’éclipses temporaires, la saine conscience du genre humain, je ne puis m’empêcher d’estimer à un certain prix la faveur d’être entré dans la vie à d’autres conditions, et de me rappeler avec délices la flamme presque amoureuse que ces nouveautés philosophiques avaient allumée en nous.

Personne à coup sûr n’en était plus épris et ne s’adonnait avec plus d’ardeur à ce réveil spiritualiste que la jeune intelligence qui, dès la première heure et à peine au milieu de nous, avait si bien saisi et reproduit comme au vol la parole du maître. Ce n’est pas qu’à proprement parler il eût la vocation de ces sortes d’études ; l’examen minutieux des phénomènes invisibles dont la conscience est le théâtre, les recherches purement intimes, purement psychologiques dont Jouffroy faisait la base et la substance de son enseignement, ne l’intéressaient qu’à demi. Cette nécessité de se regarder en dedans comme à la loupe, ce tête-à-tête prolongé avec soi-même le fatiguait, le troublait ; il aimait mieux porter son regard plus au loin, dans le champ moins resserré de la métaphysique, sur le monde invisible extérieur. À ces hauteurs, rien ne le rebutait, tant il avait le don et la puissance d’abstraire et de généraliser. Les idées même les plus rebelles se classaient, se groupaient chez lui avec une docilité merveilleuse. Aussi, tout en suivant assidûment la marche expérimentale que nous traçait notre guide, il se lançait parfois, et pour son propre compte, à la poursuite de tous ces grands systèmes qui, sous des noms et en des temps divers, chez les anciens comme chez les modernes, depuis Athènes et Alexandrie jusqu’à Gœttingue et Kœnigsberg, ont tenté de percer le mystère de notre destinée et d’expliquer l’énigme de ce monde. Dans cette exploration, il procédait avec une sûreté et une rapidité de coup d’œil tout à fait singulières. C’était l’allure de son esprit que de marcher presque trop vite. Quand il lisait, au lieu de lire, il semblait deviner ; sa pensée devançait ses yeux. Il eut donc bientôt parcouru le cercle entier de ces systèmes, et, l’examen fini, sa curiosité satisfaite, il n’en devint