Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France, offrait un spectacle curieux. Pour la première fois depuis la restauration, le public tout entier semblait se prendre de confiance et d’espoir en son gouvernement. Si ce n’était pas la paix, c’était au moins un armistice. L’opposition avait mis bas les armes. Que s’était-il donc passé? Un règne avait pris fin pendant que nous courions les montagnes; un autre règne commençait, et, comme don de joyeux avènement, le nouveau roi, Charles X, venait d’abolir la censure. Nous trouvâmes nos amis en grand émoi de cette nouveauté. L’affranchissement de la presse leur ouvrait brusquement une carrière imprévue; ils étaient mis comme en demeure de rompre le silence et d’essayer leurs forces, de se créer sinon une tribune quotidienne et politique, du moins un moyen périodique d’émettre leurs idées et de parler au pays.

L’occasion s’en offrit bientôt. — Une petite feuille d’informations scientifiques, particulièrement destinée, comme l’indiquait son titre, le Globe, à des renseignemens de voyages et de géographie, venait d’être fondée sans bruit par M. Pierre Leroux, le même qui vingt ans plus tard devait jouer un rôle et acquérir un genre de célébrité que ses façons modestes et conciliantes n’auraient alors guère permis de prévoir. Il était lié depuis l’enfance avec un intime ami de Jouffroy, M. Dubois, professeur, lui aussi, et comme notre ami exclu récemment de sa chaire, esprit ardent et sensé tout ensemble, dont la verve bretonne se prêtait mal à l’inactivité. L’idée lui vint de transformer, d’accord avec M. Leroux, ce bulletin scientifique à peine éclos en un recueil philosophique et littéraire fondé sur les nouveaux principes de critique, sur les idées d’éclectisme spiritualiste dont Jouffroy, parmi nous, dans notre petit groupe, était l’inspirateur et le représentant. Celui-ci, comme on pense, prit à cœur l’entreprise, et, non content d’y travailler lui-même, demanda le concours de ses disciples les plus zélés. Ils accoururent à qui mieux mieux, et Duchâtel un des premiers, apportant pour son contingent une ample provision d’études sur l’économie politique. Chacun s’enrôla de la sorte selon ses aptitudes ou ses prédilections, et c’est ainsi que fut formée cette association intellectuelle qui pendant près de six années, non-seulement en matière de goût dans les régions de l’art, mais dans le champ de la législation, de la morale et de la science politique, combattit corps à corps les préjugés que la révolution, l’émigration, l’empire, avaient successivement enracinés chez nous. C’était un journalisme d’un genre à part, jusque-là sans exemple et depuis sans imitateurs, union désintéressée de jeunes gens à qui Goethe avait fait l’honneur, après les avoir lus, de les prendre pour des barbes grises, tandis qu’en France l’arrière-ban du XVIIIe siècle et le vieux public de l’empire les tenaient pour des étourdis. Trop théoriciens et théoriciens trop mesurés, trop raison-