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nables, trop peu systématiques, trop peu passionnés pour devenir populaires dans le vrai sens du mot, les écrivains du Globe n’en avaient pas moins pris, pendant ces six années, en province aussi bien qu’à Paris, dans les plus humbles rangs des lettres comme dans les plus aristocratiques salons, une place considérable, et obtenu le succès le plus franc, le plus incontesté qu’une œuvre collective de ce genre eût jamais rencontré chez nous. En plein chaos romantique, dans cet amas d’idées confuses, de vagues aspirations, d’incomplètes doctrines, dont le public, faute d’y rien comprendre, commençait à se fatiguer, ils avaient apporté des principes d’ordre et de méthode, des jalons et des points lumineux, disciplinant en quelque sorte ou tout au moins coordonnant et régularisant les instincts novateurs qui entraînaient les esprits. De là leur influence. A force de lutter contre l’absolutisme de toute provenance et de toute couleur, de mettre incessamment en lumière les conditions essentielles de la vraie liberté, de la liberté pour tous, sans restrictions ni réticences, ils avaient fait de notables progrès dans l’œuvre malaisée d’acclimater chez nous cette virilité, cette indépendance d’esprit qui ne connaît que le droit et n’a pour la révolte pas plus de goût que pour la complaisance. Bientôt la digue allait se rompre sous le flot révolutionnaire imprudemment provoqué d’en haut; mais si cette tempête fut de courte durée, si l’ordre put renaître et la loi reprendre son empire sans recours à la violence, sans dommage pour la liberté, à qui le devait-on? L’histoire n’oubliera pas d’inscrire parmi les causes assurément diverses de cet apaisement l’influence exercée par le Globe, les semences de vrai libéralisme et de modération que les nouveautés de sa polémique faisaient germer depuis six ans.

Ce n’est pas m’être écarté de mon sujet que d’avoir parlé ainsi, presque en détail, de ce recueil et des services qu’il a pu rendre. Je ne sais rien en effet de plus étroitement lié dans mon souvenir, pendant la période dont il s’agit ici, que le Globe et M. Duchâtel : non que le jeune économiste fît de cette œuvre commune son affaire propre en quelque sorte, que de sa personne et de sa plume il y prît une part plus active que le plus grand nombre d’entre nous, ni même qu’il se mêlât d’en contrôler la marche et l’administration, d’empiéter sur les droits de la direction et de la gérance, il n’avait garde d’en prendre le souci; mais le succès moral de l’entreprise, l’opinion qu’on en pouvait avoir dans le public et dans les salons, les soins à se donner pour prévenir les objections et les critiques, la conduite à tenir pour concilier l’observation ferme et fidèle de nos principes avec les convenances d’une polémique modérée, tout cela lui tenait au cœur plus vivement qu’à personne. D’abord par caractère il prenait ardemment, presque avec véhé-