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des finances la loi où ce système était développé, loi dont les dispositions nécessairement abstraites et presque métaphysiques prêtaient à l’opposition bien des prétextes de querelles et de malentendus; mais l’auteur du projet écarta ces obstacles avec tant de souplesse et de lucidité que la victoire fat complète. Il fit voter sa loi, qui aurait sombré peut-être en d’autres mains, et lui-même il n’en fut qu’en plus grande faveur auprès des juges compétens sur tous les bancs de l’assemblée.

Il est vrai que peu de jours auparavant un succès plus inattendu avait dû lui donner confiance et en son crédit sur la chambre et en ses propres forces. Il avait emporté presque de haute lutte une loi proposée par lui, simple mesure de bonne administration commandée par l’accumulation croissante et onéreuse des fonds que les caisses d’épargne, de plus en plus prospères, versaient au trésor public. Il s’agissait de transporter ces fonds à la caisse des dépôts et consignations, qui seule avait qualité pour les utiliser et les mettre en valeur. Cette innocente innovation, favorable au commerce, puisqu’elle rendait la vie à des fonds immobilisés, était en outre hautement approuvée par les patrons les plus sincères et les plus éclairés de l’institution des caisses d’épargne. Ce ne fut donc pas sans surprise qu’au milieu de la discussion on vit se démasquer une attaque dirigée, non par les coryphées habituels des différentes oppositions, mais, ce qui était plus grave, par des collègues de la veille, des membres du cabinet du 11 octobre, et notamment par un ancien ministre des finances, affectant vis-à-vis de son jeune successeur des airs graves et sentencieux, et ne lui épargnant pas le reproche de vouloir toucher à trop de choses et de mettre en péril aussi bien le trésor lui-même que les caisses d’épargne. Ce ne fut pas tout : une voix autrement éloquente, le chef, le président de l’administration précédente, se mit aussi de la partie, et, par trois fois montant à la tribune, s’efforça de dresser comme une enceinte infranchissable où il pensait avoir réduit et enfermé son contradicteur. Celui-ci en sortit pourtant et avec les honneurs de la guerre, déjouant sans se déconcerter les argumens et les dilemmes, toujours maître de lui, stimulé par la solennité imprévue du débat, et rencontrant dans ses répliques une propriété, une finesse, un bonheur d’expression qu’il eût négligés peut-être, s’il se fût cru plus à son aise. Je sens encore comme un secret plaisir au fond de mon cœur d’ami en me rappelant cette journée. Il a depuis retrouvé maintes fois, et dans des occasions assurément plus graves, d’aussi heureuses inspirations et des succès non moins francs, mais jamais, je dois le dire, à ma satisfaction aussi pleine et aussi complète. Il était là sur un terrain où rien ne lui manquait pour atteindre à la perfection du genre.