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J’avais donc bien quelque raison de regretter tout à l’heure que ce ministère des finances, soit alors, soit en d’autres occasions, ne fût pas resté plus longtemps en ses mains.

Peu de jours après ces deux succès, un accident parlementaire mit subitement à nu le défaut d’homogénéité de la constitution, dès l’origine mal établie, du cabinet du 6 septembre. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer à ce sujet dans d’intimes détails. Les deux hommes qui s’étaient réunis pour fonder cette combinaison, M. Guizot et M. le comte Molé, ne se connaissaient alors que trop imparfaitement pour marcher facilement ensemble. Quinze ans plus tard, en d’autres circonstances, cherchant à réparer les torts et les malheurs passés, se voyant de plus près, poursuivant une même espérance, ils s’étaient mieux compris, mieux appréciés, et les maintenir unis n’aurait plus été un problème; mais en 1837, de part et d’autre, ils n’avaient nulle envie de se faire d’utiles concessions et de cimenter leur alliance. Le hasard les avait mal servis : pas un ami commun habile à prévenir les froissemens, à éveiller les sympathies, et au contraire bon nombre d’intermédiaires officieux attisant la discorde et provoquant les dissidences. La rupture était inévitable. Après l’échec de mesures répressives proposées à la chambre, le courant portait à l’indulgence, aux idées de conciliation, que M. Molé passait pour favoriser. Ce fut donc à lui que s’adressa la couronne; il fut chargé de composer un ministère, et le 15 avril 1837 le cabinet nouveau entreprit l’œuvre difficile de se maintenir dans les voies et dans les principes du parti de l’ordre, tout en rompant avec ses chefs, et de s’appuyer sur l’opposition sans en adopter les maximes.

De là une situation compliquée et nécessairement fausse, pleine d’embarras et de périls pour peu qu’elle durât quelque temps. Dans les premiers momens, ces sortes d’entreprises ont le vent favorable, tout semble s’aplanir. Les alliés qu’on vient d’abandonner se doivent à eux-mêmes, à leur dignité personnelle, de ne laisser éclater ni dépit ni rancunes, d’observer sinon tout à fait le silence, du moins la plus grande mesure, de s’effacer, de s’abstenir de tout blâme direct et ostensible; les opposans, de leur côté, trop heureux de n’avoir plus affaire qu’à un pouvoir affaibli, se gardent bien de l’ébranler et s’interdisent toute exigence qui le ferait échouer dès le port; mais ces beaux jours s’envolent et ne reviennent plus. Au bout d’une session ainsi passée en ménagemens et en calculs, chacun reprend sa pente ; le naturel revient, les conservateurs évincés trouvent l’oisiveté aussi pesante qu’injuste; les opposans, alléchés, commencent à perdre patience, et le ministère, qui croit avoir pris racine, cherchant à s’affranchir, devient moins accommodant. Alors il tombe entre deux feux qui ne le tuent pas encore, mais qui le blessant et le mutilent. Ces deux sortes d’attaques,