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changement trop fréquent des personnes, l’instabilité du pouvoir. Lors donc qu’un ministère avait l’insigne chance d’avoir duré déjà plus que tout autre et de pouvoir durer encore, était-ce à lui de faire comme à plaisir de l’instabilité factice ? En tout cas, l’honneur lui commandait d’ajourner toute idée de retraite jusqu’à l’issue des élections, qui commençaient à devenir prochaines, la chambre ayant fourni déjà près de moitié de sa carrière. Si l’épreuve était favorable, le cabinet en recevrait comme un nouveau baptême ; si le scrutin lui était contraire, ou seulement s’il était douteux, sa retraite était de droit, il n’avait plus ni scrupules à se faire, ni reproches à redouter.

Comme c’était sur le ministre de l’intérieur que le fardeau de ces élections devait principalement peser, Duchâtel était tenu, plus encore peut-être que ses collègues, à ne pas s’y soustraire. L’instinct chez lui persistait à souhaiter une retraite anticipée, et maintes fois, en tête-à-tête, sa verve à ce sujet devenait intarissable ; mais le côté pratique de la question, l’impossibilité de laisser à l’abandon et ses amis et la couronne, puis surtout cette nécessité de ne pas déserter la lutte qui allait s’ouvrir, le ramenaient bien vite et sans hésitation à continuer sa lourde tâche. C’était la seconde fois, depuis l’origine du cabinet, qu’il présidait à un renouvellement de la chambre. Dans la première épreuve, en 1842, une approbation non douteuse de la politique du 29 octobre était sortie de l’urne ; mais le jour même où ce résultat à peine proclamé semblait donner aux partisans de la royauté nouvelle un gage d’affermissement, la déplorable mort de M. le duc d’Orléans était venue tout détruire et tout mettre en question. Si nombreuse et si riche en dons de toute sorte que fût la royale famille, celui que la mort venait de frapper était le seul qui par son âge, ses qualités, par ses défauts même, pouvait avoir l’heureuse chance d’affermir et de perpétuer l’œuvre de 1830. Cette mort étendait encore comme un voile lugubre sur l’avenir, bouleversait toutes les prévisions, desséchait toutes les espérances, lorsqu’au bout de quatre ans, en 1846, la chambre née sous ces tristes auspices, touchant presqu’à son terme, dut être renouvelée. Sans avoir eu jamais de sérieux désaccords avec le cabinet, elle l’avait quelquefois mollement soutenu. Le travail souterrain que tant d’oppositions combinées ne cessaient d’exercer sur elle l’avait rendue presque hésitante. C’était au corps électoral de dissiper l’incertitude. Qu’allait-il faire ? confirmer ou proscrire cette politique déjà vieille de six années, longévité non moins rare qu’importune à bien des gens ? Les adversaires du cabinet, surtout le centre gauche, n’admettaient pas le doute. Je n’ai jamais vu si complète assurance, et quand on se rappelle le degré de crédulité que rencontraient alors dans l’opinion surexcitée