Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les contes les plus absurdes, et comment, par exemple, à propos d’un docteur Pritchard, on avait allumé la plus factice des colères et l’émotion la plus dénuée même de l’ombre d’un prétexte, il n’est pas très extraordinaire que l’opposition eût la foi si robuste en la bonne volonté du scrutin. Quant au cabinet, bien qu’il eût fait, cent fois pour une, justice de ces pauvretés, il savait trop quelle trace la moindre calomnie laisse toujours après elle pour se promettre un succès triomphant. Il se fût contenté, tout imparfaite qu’elle était, qu’on lui rendît la même chambre réélue pour cinq ans : avec elle, il était presque sûr que certaines barrières ne seraient pas franchies. Jusqu’au dernier moment, les conjectures les plus diverses furent également plausibles. Je dois dire toutefois que, surtout vers les derniers jours, le ministre de l’intérieur, dont rarement en ces matières le tact était en défaut, avait la ferme confiance que le cabinet l’emporterait. La victoire dépassa son attente : elle fut complète. En tenant compte de part et d’autre des pertes et des gains, l’opinion conservatrice, déjà en majorité dans la chambre précédente, comptait dans celle-ci de vingt-cinq à trente voix de plus.

On aurait cru qu’après cet arrêt tout allait marcher sur roulettes. Eh bien! non : cette fois encore il était dit que le succès serait pour le cabinet comme un présent fatal, et ne ferait qu’ajouter à ses périls et à ses embarras. Un résultat moins clair, un reste d’incertitude, en laissant à ses adversaires une ombre d’espérance, eût tempéré chez eux l’étonnement et le dépit : ils seraient restés plus sages, ou la violence de leurs efforts se serait concentrée dans l’enceinte du parlement sans se transporter dans la rue. Il me souvient qu’un de nos anciens amis avec lequel je me plaisais encore, malgré nos dissidences, à échanger parfois quelques paroles, un de ceux qui vers la fin de la session, avec la plus sincère et la plus imperturbable assurance, m’avait, en nous séparant, prédit tous les triomphes de l’opposition sur le terrain électoral, la première fois que nous nous rencontrâmes dans la chambre nouvelle, me dit avec un accent étrange : « Vous êtes les plus forts, c’est évident ; votre compte est exact, je l’ai vérifié. Ici plus rien à faire, plus rien à dire pour nous: nos paroles seraient perdues. Nous allons ouvrir les fenêtres. »

Ce ne fut que trop vrai : à partir de ce temps, l’opposition changea subitement de mot d’ordre et de plan de campagne. Avant les élections, sa confiance était telle, elle se croyait si sûre de la victoire, que ces mots : réforme électorale, réforme parlementaire, avaient presque perdu pour elle tout à-propos. A quoi bon changer l’instrument dont on attend un bon service? Par habitude, de loin en loin, quelques comparses se complaisaient encore à réclamer et l’extension des incompatibilités et l’adjonction aux listes électorales des secondes listes du jury; mais les habiles n’insistaient pas. Le