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sairement sans résultat. Il n’y avait à tenter qu’un moyen, mais un moyen extrême, intimider la couronne et la chambre elle-même par la pression du dehors, parler les fenêtres ouvertes, comme on me l’avait prédit, en appeler de la discussion légale à l’agitation populaire. Pour ce genre de besogne, les esprits modérés n’étaient guère suffisans ; il y fallait de vrais agitateurs, et il s’en présenta plus qu’on n’en eût voulu. Comment les écarter? comment s’en séparer? Qu’auraient fait sans les radicaux tous les opposans monarchiques? L’alliance était nécessaire, elle s’opéra fatalement, presque à l’insu des uns comme des autres; mais dès la première heure on put en pressentir les inévitables dangers. A mesure que les banquets, où cette agitation prit naissance, se succédaient de ville en ville, ils devenaient de plus en plus violens et menaçans. On n’y proscrivait plus seulement les toasts monarchiques, les toasts libéraux avaient le même sort; la pureté, la sincérité des institutions de 1830 étaient honnies et conspuées à l’égal de la santé du roi; puis vinrent les utopies républicaines, les glorifications serviles de la montagne, l’exaltation des insurgés d’avril, le culte béat des noms révolutionnaires les plus odieux et les plus sanglans. Le pays stupéfait prit l’alarme, et parmi les opposans monarchiques il y en eut, et des plus illustres, qui témoignèrent quelque dégoût et firent quelques pas en arrière. Sans avoir vu l’abîme dans toute sa profondeur, sans aller jusqu’au blâme public et jusqu’au désaveu qui peut-être aurait tout sauvé, ils prirent au moins assez de soin de leur honneur pour rester à l’écart et n’associer leur nom à aucun acte de violence ; d’autres persévérèrent, ne virent pas ou ne voulurent pas voir, trouvèrent des excuses à tout, et s’engagèrent enfin à figurer de leur personne au banquet solennel qui devait clore la campagne, le banquet de Paris.

La crise grandissait : elle aurait avorté, le pays s’en serait à peine ému, et ces folies démagogiques n’auraient pas même osé se produire sans un concours de circonstances qu’il est permis d’appeler fatales, tant elles semblaient se succéder et se combiner comme à dessein pour jeter dans l’esprit des masses et même à tous les rangs de la société le trouble et le découragement. C’était d’abord la suite inévitable d’une insuffisante récolte qui, vers la fin de 1847, se faisait encore sentir. Les souffrances avaient été vives, les désordres assez fréquens, la répression sévère : il en restait dans les populations un fonds d’inquiétude et de ressentiment, un penchant à la désaffection qui préparait la tâche aux fauteurs de révolte; puis, par une coïncidence tout au moins malheureuse, à ce même moment on venait de voir coup sur coup, dans les hautes régions de la société, éclater des scandales de bas étage, des exemples d’immoralité comme il en apparaît isolément à toutes les époques et sous tous