Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le comte Waldeck, écrivait : « Ne laissons pas soupçonner aux petits princes allemands que, sous le nom d’alliance, nous aspirons à la domination, » — ou alors que le grand Frédéric, ayant le pied à l’étrier pour aller conquérir la Silésie, disait à l’ambassadeur de France, le marquis de Beauvau : « Je vais jouer votre jeu; si les as me viennent, nous partagerons. »

Il n’est pas douteux que la Prusse n’eût des intérêts communs avec les princes allemands; elle les aidait à défendre les libertés du corps germanique, c’est-à-dire leurs droits de souveraineté, garantis par la paix de Westphalie, contre les envahissemens de la maison d’Autriche et ses aspirations à la monarchie. Toujours attentifs à déjouer les intrigues de l’empire, on vit les électeurs de Brandebourg et les rois de Prusse se réconcilier parfois avec leur grand ennemi et l’assister dans ses détresses pour en obtenir quelques faveurs, plus souvent brider ses convoitises, traverser ses plans, lui susciter des embarras. Tirant parti des querelles religieuses, s’érigeant en patrons de la cause protestante tout en rassurant les catholiques par leur tolérance, tantôt ils projetaient d’enlever aux Habsbourg la couronne impériale et de la transférer à la Bavière, tantôt ils s’appliquaient à grouper autour d’eux les états allemands du nord, et rêvaient de substituer à ces rapprochemens passagers une ligue permanente qui eût brisé à jamais l’unité politique de l’Allemagne. Cela s’appelait, du temps du grand-électeur, une union des princes, du temps de Frédéric II un projet de ligue entre les princes allemands, plus tard une union étroite, — et le but de ces unions et de ces ligues était toujours le même. La Prusse aspirait à détacher de l’empire le nord de l’Allemagne, à le faire graviter tout entier autour d’elle, à l’enchaîner à sa politique, en attendant de se l’incorporer. Qu’importait à un Frédéric II l’unité allemande et l’idée nationale? Il travaillait à faire la Prusse et non l’Allemagne, il se proposait de construire l’édifice dont ses ancêtres avaient jeté les fondemens, et dans cette vue, après avoir enlevé la Silésie à l’Au- triche, il dépeçait la Pologne, afin de réduire en un tout compacte toutes les provinces orientales et slaves de son royaume. Ses alliés, il les cherchait où il s’en présentait; France, Angleterre ou Russie, son âme allemande ne le gênait point dans ses choix. Qui peut expliquer mieux que lui sa politique ? — « Ce qu’il y avait de fâcheux, a-t-il dit, c’est que l’état n’avait point de forme régulière. Des pro- vinces peu larges et pour ainsi dire éparpillées tenaient depuis la Courlande jusqu’au Brabant. Cette situation entrecoupée multipliait les voisins de l’état sans lui donner de consistance, et faisait qu’il avait bien plus d’ennemis à redouter que s’il avait été arrondi. La Prusse ne pouvait agir qu’en s’épaulant de la France ou de l’Angleterre. »