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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/64

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Prague, les populations du sud éprouvèrent une véritable consternation. L’Allemagne divisée en trois tronçons ! Leur patriotisme ne pouvait se résigner à ce déchirement, elles se sentaient comme délaissées et condamnées à l’isolement politique, et il est à croire que, si les traités douaniers et militaires avaient été proposés sur-le-champ à leur acceptation, elles les eussent votés d’enthousiasme, tant elles avaient besoin de se rattacher à quelque chose, de sortir d’une position louche et équivoque, d’échapper aux incertitudes de l’avenir ! Avec le temps, les esprits, se remirent ; à mesure qu’on se rendit mieux compte de ce qui se passait à Berlin, on fut moins tenté d’envier les destinées des états du nord, plus disposé à s’accommoder de son isolement pour sauver son autonomie. Il s’agissait pour les états du sud ou de rester ce qu’ils étaient ou de devenir les vassaux de la Prusse en attendant de devenir ses sujets. — Est-il de notre intérêt, se demandèrent-ils, de renoncer à notre indépendance pour que l’Allemagne devienne une grande Prusse ? Le bon sens populaire répondit Non. Ce n’est pas à dire qu’on se résignât à jamais au statu quo, que, pour sauver la petite patrie, on renonçât à la grande. Les choses ne se passent pas ainsi dans les têtes germaniques ; elles répugnent aux options, parce que tout choix suppose un sacrifice. Nombre d’Allemands ressemblent à cet évêque qui croyait aimer la campagne et qui possédait une maison de plaisance où il n’allait jamais. Un de ses amis le priant instamment de la lui céder : — Permettez, repartit le prélat, ne savez-vous pas qu’il faut toujours avoir un endroit où l’on ne va point et où l’on croit qu’on serait heureux, si on y allait ? — Tel Souabe serait inconsolable, si on parvenait à lui démontrer qu’il n’y a de possible qu’une grande Prusse, et que la grande Allemagne est un rêve. Il sait que son programme est d’une exécution difficile, que ses espérances, avant de s’accomplir, essuieront bien des contre-temps et des lassitudes, et que dans l’histoire les paiemens se font rarement aux échéances convenues. Que lui importe ? Il ne doute pas qu’un jour tous les peuples germaniques ne forment une vaste communauté où les Souabes seront des Allemands sans cesser d’être des Souabes. Seulement il a résolu d’attendre des conjonctures plus favorables, et que le militarisme prussien soit remplacé par des constellations plus bénignes et plus propices. Il tient à son rêve, mais il n’entend pas en être la dupe.

Partagés entre des intérêts contraires, les Allemands du midi s’en remettent à l’avenir du soin de les concilier ; cependant il est difficile qu’une âme sollicitée par deux passions tienne la balance égale entre elles. Dans tous les états du sud s’est formé un parti nombreux qui a fait résolument son choix, et dont le programme peut