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germanique, elle est animée de tout autres sentimens; elle a la fibre allemande, l’idée nationale lui est chère ; elle ne pourrait se résigner à demeurer à jamais séparée de ses frères du midi, son cœur saignerait si l’Allemagne était condamnée à une éternelle scission.

En 1866 et depuis, le cabinet de Berlin s’est montré maître passé dans l’art des contradictions volontaires et utiles. On fait des conquêtes en Allemagne comme en pays étranger, et on se pose en protecteur naturel des intérêts allemands. Ne pouvant détruire l’Autriche, on l’exclut de l’Allemagne, on retranche de la communion des fidèles plusieurs millions d’Allemands très authentiques, et d’autre part, malgré leurs vives réclamations qui se renouvellent chaque année, on y englobe de force des Danois et les provinces polonaises de la Prusse qui ne faisaient point partie de l’ancienne confédération germanique. On a réalisé au nord du Mein l’union étroite, et, la rendant chaque année plus étroite, on travaille à la convertir en une grande monarchie unitaire au moyen d’une constitution à nœud coulant qui aura bientôt raison de ce qui reste d’autonomie aux petits états; en même temps on appelle à soi tous les états du midi, on leur déclare que tous les Allemands sont frères, et on traite d’amis de l’étranger ceux qui s’avisent de demander des garanties. On a reconnu à ces états, par l’article 4, une existence indépendante et internationale ; mais on a eu soin d’ajouter qu’on pourrait se lier avec eux non-seulement d’amitié, mais nationalement (eine nationale Verbindung bleiht vorbehalten), véritable amphigouri, aussi ténébreux pour le moins que la grâce suffisante qui ne suffit pas et que la grâce nécessitante qui ne contraint pas. On en conclut que, le traité ne s’expliquant point, on le peut expliquer à son gré et que les états du sud sont libres de se donner à la Prusse. — Mais, répondent les ergoteurs, que devient alors leur existence internationale? — Nous ne sommes pas chargés de vous le dire, réplique la casuistique prussienne. Il y a en tout cas quelque chose de supérieur à la foi des traités, ce sont les liens de famille et le droit naturel. Malheur à qui voudrait séparer ce que la nature elle-même a uni!... Cependant que les états du sud s’avisent de prendre la Prusse au mot, qu’ils lui disent : De votre aveu, nous sommes frères. Nous vous reconnaîtrons, si vous le voulez, le droit d’aînesse, et nous nous contenterons d’une portion de cadets; mais votre confédération du nord est une vraie société léonine : si vous avez à cœur de nous y faire entrer, modifiez-en les clauses. Vous avez trop d’esprit de famille pour vouloir nous traiter en vassaux ou en sujets ! — Permettez, leur répond la Prusse. Je ne suis pas seulement l’un de vos frères et le plus considérable des états allemands; je suis aussi la Prusse, l’héritière du grand Frédéric et l’une des cinq grandes puissances. À ce titre, j’ai mes intérêts propres et mes ambitions particulières, j’entends rester abso-