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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/663

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lation de Yachi comme étant « un mélange d’indigènes idolâtres, de chrétiens nestoriens et de Sarrasins ou mahométans[1]. » La ville que l’illustre voyageur appelle Yachi paraît être la même que Tali, nommée Y-tchéou par Han-outi, qui la fonda après avoir porté ses armes au-delà du Gange. Cette cité célèbre, qui est aujourd’hui le centre de la révolte, reçut le nom de Yao-tchéou sous la dynastie des Thang, puis celui de Nan-tchao[2] quand elle eut secoué le joug des Chinois ; elle prit enfin, après qu’elle eut été conquise par le petit-fils de Gengis-Khan, le nom de Tali, qu’elle porte encore aujourd’hui. Depuis cette époque, les dynasties ont changé en Chine, les Mongoux ont été remplacés par des souverains nationaux, ceux-ci ont été renversés à leur tour par les Tartares-Mantchoux ; mais le pays de Tali n’en est pas moins demeuré pendant six siècles incorporé à l’empire. C’est en 1857 qu’il s’en est détaché de nouveau ; pour quels motifs et dans quelles circonstances ? Je vais essayer de le dire.

Les doctrines de l’islam ne se sont pas répandues sur la Chine à la suite des prédications qu’aurait pu y faire un apôtre voyageur, elles s’y sont perpétuées, sans s’étendre sensiblement d’ailleurs par la voie des conversions, chez les descendans d’anciens émigrés fixés dans le Céleste-Empire. Il y a lieu de penser que le christianisme dégénéré des nestoriens et l’islamisme modifié de ceux que Marco-Polo appelle Sarrasins se sont fondus en une seule doctrine, basée sur le dogme de l’unité divine, et que cette croyance commune a entretenu chez les adeptes, à l’égard des athées et des polythéistes, un mépris facile à convertir en haine. Ces sentimens se sont traduits cent fois par des révoltes partielles qui auraient suffi pour éclairer sur les causes et l’étendue du danger un gouvernement moins aveugle que le gouvernement chinois.

Les premiers désordres paraissent avoir éclaté en 1855, parmi des mineurs maltraités par les mandarins préposés à la surveillance des travaux. Le plus grand nombre des ouvriers appartenait à la religion mahométane ; exaspérés par la violence et se sentant en force, ils assassinèrent les officiers chinois et se répandirent en bandes armées dans la campagne en appelant à eux leurs coreligionnaires. À la suite de ce mouvement, les musulmans redoublèrent partout

  1. Le savant éditeur du Tong-kien-kang-mou donne les plus curieuses indications sur les différentes religions pratiquées à la cour du tartare Manko-Khan, religions que Marco-Polo trouva on vigueur dans la ville de Tali, et principalement sur la secte chrétienne fondée au Ve siècle par Nestorius.
  2. Le royaume de Nan-tchao est l’un des quatre que les Chinois appellent les fléaux de l’empire. — Depuis la révolte musulmane, il a conquis des droits nouveaux à cette qualification.