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C’est la juste physionomie de cette histoire qu’un écrivain a pour devoir principal de dégager. Si autrefois des erreurs ont été commises, ce sont les erreurs intéressant la nature même et les titres essentiels des talens qu’il lui appartient surtout de rectifier ; le reste demeure affaire de curiosité archéologique. On a eu beau, depuis quelques années, déposséder des noms sous lesquels ils avaient été si longtemps célèbres, Arnolfo di Lapo et Simone Memmi, pour établir, pièces en main, que l’un s’appelait en réalité Simone di Martino, l’autre Arnolfo del Cambio ; on a eu beau, en Italie surtout, nous avertir qu’il n’était plus permis de confondre avec les peintres florentins tel maître né à quelques milles du territoire de Florence, ou que, en dehors des grandes écoles jusqu’ici reconnues, nombre de petites villes du Milanais, de la Romagne, de l’Ombrie, avaient, elles aussi, leurs droits à faire valoir et leur part d’honneur à revendiquer : le tout ne modifie pas assez l’ensemble des faits pour que l’opinion et la critique doivent pour cela se renouveler. Que l’on distingue, au XIVe siècle, des groupes d’artistes travaillant côte à côte, ici ou là, des écoles si l’on veut, et des écoles aussi nombreuses que les provinces, soit : toujours est-il qu’à cette époque tous les efforts tendent au même but, que partout on accepte et on pratique les mêmes doctrines, qu’en un mot l’autorité et les exemples d’un seul homme, Giotto, suffisent pour régir l’art pendant près de cent ans d’un bout à l’autre de l’Italie. Il n’en va pas autrement des mouvemens ou des progrès qui s’opèrent dans les siècles suivans. Même en se produisant à distance, ces progrès participent les uns des autres ; même sous la diversité des dehors, ils ont un caractère d’homogénéité, parce qu’ils résultent des conditions qu’imposent, à un moment donné, certaines exigences du sentiment ou du goût public. Quand Mantegna travaille à Padoue, Carpaccio à Venise, Lorenzo Costa à Ferrare, Pollaiuolo ou Botticelli à Florence, il est clair que ces maîtres, comme les autres quattrocentisti, n’obéissent pas à un mot d’ordre, et qu’ils ne songent pas à se copier réciproquement. D’où vient pourtant que, jusqu’à un certain point, leurs œuvres se ressemblent ? Comment expliquer, sinon par les influences de l’heure et de l’atmosphère, ces prédilections communes pour l’expression mélancolique plutôt que majestueuse, pour des raffinemens d’intentions et de style dont personne ne se serait avisé sous l’austère discipline de Giotto ?

On pourrait aisément multiplier les exemples et opposer bien d’autres faits à ce système d’impartialité à outrance, à ces procédés plus géographiques que de raison qui tendent à découper le domaine de l’art en circonscriptions de municipalités ou de districts, et, sous prétexte d’ordre, à introduire l’anarchie dans l’his-