Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/736

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettre de quitter la glèbe à laquelle la nature semble l’avoir rivé; mais l’on en est venu à croire la solution du problème impossible. Au lieu de s’épuiser en stériles efforts d’imagination, n’eût-on pas mieux fait d’approfondir l’étude des forces que la nature met tous les jours en œuvre dans l’insecte et dans l’oiseau? « On a voulu inventer l’art du vol, dit M. d’Esterno, comme s’il n’était pas connu et pratiqué, au vu et au su de tous, depuis la création du monde, par des milliards de créatures ailées. Que dirait-on d’un homme qui voudrait aujourd’hui inventer la vapeur, au lieu d’aller voir simplement fonctionner une locomotive? » Cette étude indispensable, un physiologiste français dont je puis me dispenser de louer le mérite, M. Marey, vient de l’aborder avec toutes les ressources de la science moderne. Il a déjà publié une partie des résultats auxquels il est parvenu, il en a fait le sujet d’un cours au Collège de France; on nous saura gré d’en donner ici un résumé substantiel. Avant de décrire les méthodes de M. Marey et d’exposer les faits qu’il a constatés, je rappellerai brièvement ce que l’observation nous avait déjà appris sur le vol des oiseaux. On verra ensuite jusqu’à quel point les faits connus peuvent autoriser l’espoir d’une application pratique.


I.

A l’époque où la fauconnerie était en vigueur, les habitudes d’un certain nombre d’oiseaux ont été étudiées avec un soin assez intéressé pour qu’il soit permis d’accepter comme bien établi ce que la tradition nous a transmis à cet égard. Les oiseaux de proie qui étaient employés à la chasse se divisaient en oiseaux de haute volerie, tels que le gerfaut, le faucon, le hobereau, et en oiseaux de basse volerie, comme l’autour et l’épervier; le reste se classait dans la tribu des ignobles, ainsi nommés parce qu’il n’y avait aucun profit à en tirer. Huber, de Genève, qui a publié en 1784 un curieux ouvrage sur ce sujet, divise les mêmes espèces en rameurs et voiliers ; les premiers comprennent les oiseaux de haute volerie, les oiseaux de basse volerie sont les voiliers saillans, les ignobles les voiliers communs. Ces divisions s’appliqueraient peut-être avec avantage aux oiseaux en général, elles répondent à des aptitudes différentes et bien caractérisées. L’aile qu’on appelle rameuse offre une forme découpée, elle est faite pour frapper l’air avec force et fréquence; l’aile voilière est large, émoussée, et plus propre que l’aile rameuse à servir de voile ou de parachute. Les pennes de l’aile rameuse ont peu de largeur et se terminent en pointe adoucie; les pennes de l’aile voilière sont très larges vers le milieu, et les cinq principales sont échancrées de manière à laisser passer l’air