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LE
VOL DES OISEAUX

Mémoire sur le vol des insectes et des oiseaux, par M. Marey; Paris 1870.

On attribue à un roi d’Angleterre une plaisanterie bien spirituelle. Ayant convoqué ses savans, il les pria de lui expliquer pourquoi un seau d’eau n’augmentait pas de poids lorsqu’on y plaçait un poisson. Les savans demandèrent du temps pour répondre; au bout de quelques jours, ils arrivèrent chacun avec un volumineux mémoire où le problème se trouvait résolu par de subtiles déductions. Alors le roi fit apporter un seau d’eau, un poisson et une balance; le seau fut posé sur l’un des plateaux, on l’équilibra par une tare, enfin on y jeta le poisson, et tout le monde vit le plateau descendre; le seau était devenu plus lourd. Cette histoire, vraie ou fausse, est l’image fidèle de ce qui se passe tous les jours dans le monde savant. On peut dire, sans crainte d’exagérer, que la moitié de la force vive qui se dépense en travaux scientifiques est employée à raisonner sur des faits imaginaires, à expliquer ce qui n’existe pas. Le vol des insectes et des oiseaux est peut-être l’un des problèmes qui ont le plus exercé la sagacité des théoriciens de cabinet. Il offre un double intérêt : un phénomène mystérieux à faire rentrer sous les lois connues de la physique et une application importante à obtenir, application qui n’a cessé de hanter les rêves des inventeurs depuis Icare. Toutefois, si, d’après Schopenhauer, les ailes poussent à l’oiseau par l’effet de sa volonté, il faut avouer que jusqu’ici l’homme n’a point encore assez voulu. On ne compte plus les mécanismes ingénieux ou simplement bizarres qui ont été proposés pour lui per-