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il fallait pouvoir arrêter l’instant fugitif, saisir les durées insaisissables, gagner de vitesse les rayons de lumière. Ce n’est que depuis une trentaine d’années que les différentes méthodes qui permettent d’obtenir de pareils résultats ont pris place parmi les procédés habituels des expérimentateurs, et déjà elles ont transformé la physiologie et la biologie. On reconnaît maintenant combien étaient grossières les notions que nos sens nous fournissaient sur la durée des phénomènes; on commence à se familiariser avec les centièmes, avec les dix-millièmes de seconde.

Le procédé le plus important de ceux qu’on peut employer à l’étude des phénomènes rapides, c’est le tracé automatique des mouvemens. S’agit-il d’obtenir la représentation fidèle d’une vibration, il suffit d’armer le corps. vibrant d’une lame fine et flexible et d’en appuyer la pointe sur une glace enfumée que l’on fait glisser dans une direction perpendiculaire à celle des oscillations; la pointe creusera dans la poussière noire un sillon sinueux qui permettra d’analyser à loisir toutes les péripéties du mouvement en question. Au lieu d’une glace enfumée qui se déplace en ligne droite, il est plus commode d’employer un cylindre tournant sur lequel on colle une feuille de papier noircie à la flamme fuligineuse d’une lampe. On approche le style vibrant de la surface du papier, on tourne la manivelle, et l’on voit naître sur le cylindre un sillon blanc de forme sinueuse, aussi fin que s’il était fait au burin. Le tracé obtenu, on décolle le papier et on le trempe dans un bain d’alcool ; le noir de fumée se fixe alors, et l’épreuve peut se conserver sans altération comme un dessin ordinaire. Dans ces diagrammes, la longueur du sillon représente la durée totale de l’expérience, durée qui se trouve ainsi en quelque sorte grossie par sa transformation en espace. On peut la subdiviser en secondes et fractions de secondes en disposant près du cylindre un chronomètre à pointage dont l’aiguille marque les secondes à côté du tracé. Le papier noir, en se déplaçant sous la pointe, emporte pour ainsi dire avec lui chaque phase du mouvement vibratoire et la conserve inscrite à sa place dans l’ordre des temps; un simple coup d’œil jeté sur la ligne serpentante du tracé nous révèle les positions successives que la pointe occupait pendant ses oscillations, et qu’il eût été impossible à l’œil de suivre à cause de leur rapidité. C’est ainsi que l’écriture musicale représente par des notes échelonnées sur une portée une suite de sons dont la hauteur et la durée sont figurées par la position et par la forme des signes. Les coupures verticales qui correspondent aux mesures indiquent des intervalles de temps égaux, et en regardant les croches et les doubles croches qui se pressent dans l’espace d’une mesure, l’œil d’un musicien saisit immédiatement le caractère du passage