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aujourd’hui une sorte de tribunat en soutane, passé maître dans l’éloquence populaire, et agissant en même temps par le confessionnal et par le journal. Les événemens de 1866 l’ont servi à merveille. Il a su exploiter l’attachement du pays à son indépendance, les antipathies que le nom prussien inspire au patriotisme bavarois, les défiances du peuple des campagnes, son humeur soupçonneuse, qui découvre partout des machinations et des trames. S’emparant de ces inquiétudes, les fomentant et les envenimant, incriminant les intentions, dénonçant avec acrimonie et les actes du pouvoir et les arrière-pensées qu’il lui imputait, — de tous ces griefs, les uns plus ou moins fondés, les autres chimériques, il a composé un volumineux dossier où il puise à pleines mains dans les jours d’élections. Il est donc pour quelque chose dans l’organisation de ce parti patriote qui possède aujourd’hui la majorité dans les chambres, et qu’on désigne à tort en France et ailleurs sous le nom de parti ultramontain. Les conservateurs ou patriotes bavarois, qui ont à leur tête des hommes éclairés et de grande valeur, sont moins un parti qu’une coalition, et cette coalition se recrute dans toutes les classes. A côté des champions du Syllabus et de la curie, on y trouve des hommes de gouvernement, des catholiques libéraux, presque tous les orthodoxes protestans. L’intérêt commun est la conservation de la Bavière ; mais les uns estiment qu’il est des progrès et des changement conciliables avec cette conservation ; d’autres, incapables de ces distinctions, s’attachent à tout conserver, craignant que la muraille ne s’écroule, si on en détache une pierre ; d’autres encore s’occupent moins de sauver la patrie que de faire leurs propres affaires, et, avides du pouvoir, ils comptent que les patriotes voudront bien leur tenir l’échelle. L’indépendance nationale est le mot d’ordre commun du parti ; mais ce qui pour la plupart est le but, pour quelques-uns n’est qu’un moyen, et le paysan est leur instrument[1].

Si on en jugeait par sa lourdeur apparente, par son indolence

  1. Il est permis de douter que la majorité des paysans bavarois soient ultramontains. En tout cas, les définitions théologiques sont le moindre de leurs soucis ; ils n’entrent pas dans le détail, ils voient les choses en gros. Dans la séance du 3 février dernier de la chambre des députés de Bavière, l’un des représentans de la droite, M. Hafenbrädl, a déclaré qu’il était faux que les associations de paysans ou Bauernvereine fussent au service de Rome et des jésuites, que leur mot d’ordre était : Dieu, le roi et la patrie. « Dites aux paysans, s’est-il écrié, que la Bavière doit devenir une province romaine, et vous verrez comme ils feront volte-face. » Répondant ensuite à ceux qui lui reprochaient d’être allé pendant la période électorale à la chasse du paysan, auf den Bauernfang : « Nos paysans ne sont pas si faciles à attraper que vous croyez, ajouta l’honorable député. Essayez de cette chasse, il est probable que vous en reviendrez bredouille. La grosse affaire pour le paysan, avant de se laisser prendre, c’est de savoir qui est le chasseur. »