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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/793

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nence de leur corps, s’offrent d’eux-mêmes pour réparer cet accident, qui eût pu être irréparable. A force de bras et en plein jour, les canons furent remontés dès le lendemain dans une nouvelle batterie, no 5, appelée batterie Damrémont et construite en quelques heures à l’extrême gauche de Mansoura, d’où elle ne voyait qu’à revers le front d’attaque. L’armement de cette batterie se composa de 2 obusiers de 6 pouces et de 3 pièces de 24.

A Coudiat-Aty, la pluie avait encore plus retardé les travaux. La construction de deux batteries, l’une de 2 obusiers, l’autre (batterie de Nemours) destinée à battre en brèche à 500 mètres la courtine de Coudiat-Aty, avait été commencée par 1,100 travailleurs, afin d’être à l’avance en mesure de recevoir sur ce point les pièces employées au Mansoura, dès que cette première attaque aurait produit son effet. Sur ce terrain de roc et de pierrailles, on ne peut élever les parapets qu’en sacs à terre, et les nappes d’eau tombant sans interruption changent en boue liquide les veines de terre qu’on est obligé d’aller chercher au loin comme des mines d’or. Les sacs, mal remplis d’une terre fluide filtrant à travers la toile, ne parviennent de main en main à leur destination que flasques et vides. Les soldats, inondés par un déluge d’eau glaciale, fouettés par les bourrasques d’un vent terrible, dans l’eau, sans feu et sans soupe, dans les ténèbres, sans sommeil, mitraillés jour et nuit par des canons qui demeurent sans réponse, travaillent depuis trois jours sans interruption et sans résultat visible pour eux. Les hommes, malades, mais non découragés, tombent dans la stupeur et l’épuisement; les animaux, déjà réduits à une demi-ration d’orge, car le fourrage tenté par la cavalerie n’a pas réussi, meurent en grand nombre.

La tempête, qui avait duré toute la journée du 8 sans ralentir les sorties périodiques des musulmans, redouble pendant la nuit suivante et suspend même le combat. On rentrait dans ce temps de désolation et de misère qui, l’année précédente, avait produit tant de malheurs. Chrétiens et musulmans voient dans cette sinistre analogie une manifestation de la volonté divine. Les chefs observent le temps avec angoisse et cherchent à lire dans le ciel l’avenir de leur cause ; ils obéissent à ces tendances mystiques qui, au milieu des grandes souffrances, remplacent dans toutes les âmes l’incrédulité, engendrée souvent par l’oisiveté et le bien-être.

Enfin le 9 au matin le bruit des batteries, jusqu’alors muettes, du Mansoura et des obusiers de Coudiat-Aty réveille l’armée, engourdie dans la boue sous une calotte de nuages bas et lourds qui ressemblent au couvercle d’un tombeau. La violente canonnade qui interrompt les tirailleries journalières atteste le courage et l’adresse des artilleurs français et turcs. Au bout de quatre heures d’un feu