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Cependant la compagnie franche passe sur les morts et les mourans et pousse tout à la baïonnette devant elle, lorsque l’explosion d’un magasin à poudre détruit presque entièrement cette brave troupe. Dans un vaste cercle, tout est renversé, anéanti; les murailles s’écroulent, la terre se soulève, les assiégés reviennent à la charge et hachent à coups de yatagan tout ce qui respire encore au fond de ce cratère. L’emploi des mines par masse de poudre, enterrée ou non, est toujours le plus puissant des moyens de défense. Si les 15,000 kilogrammes de poudre accumulés encore dans Constantine eussent été répartis sur le chemin des Français, l’assaut eût manqué, et le dernier des chrétiens eût péri.

Cet accident, imprévu pour les deux partis peut-être, faillit amener une catastrophe : le colonel de Lamoricière était aveuglé, tous les chefs et presque tous les officiers étaient hors de combat; les soldats, décimés et sans direction, n’avançaient plus sur un terrain qu’ils croyaient miné; les blessés, spectres noircis, sans forme humaine, aux chairs pantelantes comme celles de cadavres que l’on enlève d’un cabinet anatomique, redescendaient la brèche en répandant l’alarme par leurs gémissemens.

Le colonel Combes coupe court à cette hésitation et reprend l’offensive en faisant emporter par les voltigeurs du 47e les fortes barricades de la rue du marché, la véritable voie stratégique de l’intérieur de Constantine. Des renforts sont envoyés dans la ville, successivement et par petites colonnes, de manière à combler les vides sans encombrer les lieux. Le cri « à la baïonnette ! » enlève les soldats de tous les corps, la charge bat avec frénésie; dans les bivacs de l’armée, les tambours et les clairons la répètent tous à la fois comme fascinés par un entraînement contagieux et irrésistible. Les musulmans perdent du terrain ; mais dans ce moment décisif le colonel Combes est atteint de deux balles en pleine poitrine. Il donne encore ses derniers ordres, puis il vient dans la batterie de la brèche, debout et l’épée haute, rendre compte au général Valée et au duc de Nemours de la situation du combat. « Ceux qui ne sont pas blessés mortellement, ajoute-t-il ensuite, pourront se réjouir d’un aussi beau succès; pour moi, je suis heureux d’avoir encore pu faire quelque chose pour le roi et pour la France. » C’est alors seulement qu’on s’aperçoit qu’il est blessé. Calme et froid, il regagne seul son bivac, s’y couche et meurt. Son absence n’arrête pas les progrès de l’attaque; les officiers inférieurs et les soldats, livrés à eux-mêmes, font avec intelligence et courage cette guerre de maisons, à laquelle, de l’aveu de tous les écrivains militaires, les Français sont éminemment propres.

C’est un Saragosse au petit pied, car ici, comme à Saragosse, les