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III.

J’en étais à me creuser la tête pour trouver un bon commencement, lorsque mon valet de chambre, le vieil Ivan, entre-bâilla la porte de mon cabinet. Je me retournai brusquement : — Pourquoi me déranger quand je travaille? lui dis-je avec colère.

— S’il vous plaît, monsieur le professeur, reprit Ivan de sa voix douce, c’est un jeune étudiant qui désire vous parler.

— Vous savez bien que je n’y suis pas ! criai-je assez haut pour être entendu de l’importun qui se tenait dans la pièce d’entrée.

— C’est ce que je lui ai répondu; mais il dit que c’est pour affaire grave, et il est déjà venu trois fois.

— Allez au diable ! vous et ce monsieur qui est déjà venu trois fois.

Ivan savait ce que cela voulait dire, et sans insister davantage il referma doucement la porte.

Je cherchai alors à ressaisir le fil de mes idées et à trouver ce fameux commencement d’où daterait la série de mes expériences sur moi-même.

— Eh! parbleu, m’écriai-je, mon commencement! la providence me l’envoyait tout à point, et il descend en ce moment l’escalier; voilà un beau début!

Les étudians me détestaient, et je le leur rendais bien. Je fus curieux de voir la mine que ferait celui-ci au sortir de la « tanière de l’ours, » comme ils appelaient mon logis. Je me mis à la fenêtre; juste à ce moment, mon solliciteur franchissait le seuil de la porte d’entrée. Tout ce que je pus voir d’en haut, c’est que c’était un grand garçon d’une vingtaine d’années. Des boucles soyeuses de beaux cheveux blonds frisés dépassaient de tous côtés sa petite casquette plate. Il eut l’air d’hésiter sur ce qu’il avait à faire; puis, la tête penchée et pliant légèrement les épaules, il tourna à gauche et s’éloigna à pas lents. S’il eût tiré la porte d’en bas avec violence, s’il fût parti la tête haute, s’il eût fait retentir ses talons sur le trottoir comme un homme en colère, cela m’eût paru si naturel que je n’y aurais pas songé seulement un quart de minute. Sa tristesse et sa résignation me firent quelque chose; j’eus comme un mouvement de pitié, et je fus sur le point de le rappeler. Déjà je me penchais, les deux mains appuyées sur la traverse du balcon. Oui! mais que dirait ce mauvais drôle de Schnaps, le cordonnier d’en face, lui qui ricane toujours quand je passe devant son échoppe, s’il voyait M. le professeur Würtz crier par la fenêtre comme une servante qui appelle le marchand d’os et de chiffons ? Eh bien ! tant pis pour ce savetier s’il ricane, je veux rappeler l’étudiant et je le