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homme de génie d’avoir aussi mal débuté dans la vie, et de n’avoir connu la sympathie que par une sorte de révélation tardive, qui en avait fait pour lui une vérité lumineuse et « fulgurante, » et non un lieu-commun banal et «rebattu. » (On applaudit. L’orateur continue.) « L’antithèse entre les deux parties de la vie de l’illustre M. Würtz était peut-être nécessaire pour parfaire l’originalité du moi würtzique... Au fait, quelqu’un de l’honorable assemblée peut-il me faire savoir si l’on doit dire würtzique ou Würtzéien? » Et il me regardait en face, et toute l’assemblée me regardait aussi. L’effort que je fis pour chercher lequel des deux était le plus conforme à l’usage me réveilla. Je me moquai de mon rêve et de moi-même, et sans résoudre la question je me tournai du côté du mur et je m’endormis.

Le lendemain, dès le point du jour, j’étais à l’œuvre. J’écrivis de verve tout le commencement de mon préambule. Ma main se fatigua plus vite d’écrire que mon esprit de concevoir. Pour me reposer les doigts et me rafraîchir la tête, je voulus me donner le plaisir d’une longue course à travers champs. Que la campagne me parut donc belle! et cependant l’hiver finissait à peine. De loin en loin, quelques rares anémones et quelques touffes de perce-neige annonçaient seules la venue prochaine du printemps. Les arbres étaient encore nus; seuls quelques marronniers avaient risqué leurs gros bourgeons vernissés qui reluisaient au soleil. Les arbres sans feuilles dessinaient des réseaux délicats sur le ciel gris, ou bien se groupaient en masses qui, de loin, semblaient d’un violet pâle à travers la brume légère. Je m’étonnais moi-même de remarquer ces choses comme aurait pu le faire notre illustre compatriote le peintre Gulden, puis je faisais cette réflexion, banale, je n’en doute pas, pour bien d’autres, mais qui avait pour moi l’attrait et le charme d’une découverte : quand le bonheur est en notre âme, il y porte la flamme et la foi, et nous trouvons un sens nouveau à tous les objets où s’arrêtent nos regards.

Quand je rentrai au logis, rafraîchi et renouvelé par cette promenade au grand air, je me remis à l’œuvre avec une ardeur invincible.

Quel charme que d’écrire, quand on se sent en possession de la vérité, quand les idées jaillissent des profondeurs de l’âme aussi naturellement qu’une source des flancs d’un rocher! Jadis c’était pour moi un labeur et une gêne, à présent c’était devenu, comme par enchantement, le fond même et l’attrait de ma vie. Autrefois j’avais entrepris un travail sur la nécessité pour l’homme de s’isoler et de concentrer ses forces morales et intellectuelles. Je soutenais simplement une thèse à force de recherches, de citations et de raisonnemens, poussé peut-être en secret par le désir de justifier