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D’un autre côté, les étudians ne me fuyaient plus, s’ils ne me recherchaient pas encore. Il était évident que la paix était faite entre nous. La Gazette manuscrite avait clos depuis longtemps la série de ses ours, et s’était rejetée sur les trois manteaux du docteur Bœhm, sur les exploits équestres de l’étudiant Hiller, et en dernier lieu sur les vanteries du baron von der Schield, devenu depuis célèbre, non-seulement en Allemagne, mais dans le monde entier, sous le nom de baron de Munchausen.

Un jeune Russe, qui faisait son tour d’Allemagne, s’était arrêté à Munchausen, et suivait les cours de l’université. En sa qualité d’étranger, il n’était pas au courant des anciennes traditions et n’avait par conséquent aucun préjugé contre moi. Il vint un jour me trouver à l’issue de la leçon, pour me demander quelques explications. Comme c’était un garçon d’un esprit vif et curieux, la conversation, commencée au pied de la chaire, continua dans la rue. Sans m’en apercevoir, j’entraînai mon interlocuteur jusqu’à ma porte. Cela fut un exemple et un encouragement pour les autres étudians, la glace fut décidément rompue entre nous. Bientôt, une fois ma leçon finie, je revins toujours escorté d’un groupe de fidèles. Cela me fit le plus grand honneur dans mon quartier; Schnaps lui-même restait le marteau en l’air et comme frappé d’admiration. Sans y songer, il regagna mon estime, puis ma pratique, qui lui revenait de droit, puisqu’il était mon voisin; ses ricanemens seuls l’en avaient privé jusque-là. La première fois que je m’arrêtai pour lui parler, je fus surpris de son bon sens, de sa douceur et de sa politesse. Quant à ses ricanemens, je dois l’avouer à ma confusion, ils n’avaient jamais existé que dans mon imagination. Le pauvre diable avait tout simplement la bouche trop fendue avec les coins relevés; qu’il fût gai ou triste, il montrait toujours toutes ses dents sans le vouloir.

Voilà où en étaient les choses quand l’hiver devint tout à coup très rude. Comme les ruisseaux étaient gelés, les petits garçons du voisinage, le bonnet bien enfoncé par-dessus les oreilles, faisaient pendant des heures des glissades sous mes fenêtres. Je travaillais toute la journée, et leurs cris et leurs rires me tenaient compagnie; puis il vint à neiger, et l’on n’entendit plus aucun des bruits de la rue; les chariots même des paysans et les camions des brasseurs ne produisaient plus qu’un son étouffé. Les petits garçons se battaient à coups de boules de neige : c’était très gai pour moi. Une grande lueur blanche éclairait mon cabinet. J’étais alors si heureux que toute saison m’était bonne, et, comme les petits garçons de la rue, je saluais avec joie la venue de chaque journée, sachant d’avance qu’elle m’apportait de la joie.

Enfin le livre est achevé, je sais qu’il est bon ; me voilà donc au comble de mes vœux! C’est ce que je me disais par une froide ma-