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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/849

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dans l’Ancien-Testament, n’est guère explicite que dans le Talmud.

D’ailleurs, n’y eût-il pas de raison de contester l’antériorité des textes talmudiques cités par M. Rodrigues, il faudrait encore avouer que tous ces textes réunis ne témoignent pas d’une complète identité. Nulle part le dieu de la Bible et du Talmud ne reçoit le beau et doux nom qui révèle toute une doctrine dans les enseignemens évangéliques. S’il n’est plus le Jéhovah terrible et jaloux de Moïse, si les livres des prophètes et surtout du Talmud lui reconnaissent déjà la bonté, la miséricorde, l’amour, qui sont les attributs distinctifs du dieu des Évangiles, il n’est pas encore le père. Aussi, quelque juste et bon qu’il soit pour toutes sas créatures, et en particulier pour les hommes qu’il aime et assiste quand ils en sont dignes, il reste toujours l’objet de leur crainte, de leur respect, de leur adoration, non de leur filial amour. Alors même que dans l’antiquité Dieu est conçu comme un père, c’est le père de la famille antique, qu’on vénère, qu’on n’ose pas aimer. Aimer Dieu est un mot évangélique et chrétien; il est bien sorti du cœur de l’incomparable prophète qui s’est appelé Fils de Dieu, et qui n’a jamais compris ni exprimé les rapports de Dieu et de ses créatures autrement que sous la forme des relations intimes et presque familières qui subsistent entre un père et ses enfans. Et Jésus avait la parfaite conscience que c’était là toute sa doctrine : aimer Dieu comme un père et les hommes comme des frères; quant au reste, il n’avait nul besoin de dogmatiser. La loi n’était-elle pas là avec ses commandemens et ses pratiques? Pour Jésus, la bonne nouvelle était non point une loi nouvelle, mais simplement l’ancienne loi comprise et pratiquée dans l’esprit des prophètes et des vrais fils de Dieu. Le messie ne se sentait point une autre mission.


II.

Tout cela expliqué et convenu, il reste vrai que, réduit pour la théologie à ce sentiment de filiale tendresse pour le père céleste de toutes les créatures, pour la morale à un recueil de maximes pratiques, l’enseignement de Jésus n’a encore aucun des caractères d’un dogme véritable, c’est-à-dire d’un corps de doctrines qui se tiennent entre elles, et forment un tout complet fortement organisé. Qui a fait cette œuvre vitale pour l’avenir du christianisme? Ce n’est pas Jacques, le chef vénéré de la première communauté, dite l’église de Jérusalem, qui resta obstinément attachée aux pratiques de l’ancienne loi. Ce n’est pas Pierre, le grand nom sur lequel devait reposer plus tard tout l’édifice de l’organisation de l’église romaine. Les quelques lettres qui leur sont attribuées, alors même que l’authenticité n’en serait pas contestable, n’ont point une valeur doc-