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tique, soit défaut de circulation, soit mauvaise direction de la sève, l’arbre s’énerve et se courbe sous le poids des branches qui le tirent à terre; il couvre le monde du moyen âge d’une ombre épaisse sous laquelle tout s’engourdit ou dort. Qu’avait à faire la réforme pour redresser l’arbre et lui faire reprendre son essor vers les hautes régions? Rappeler la sève au tronc en coupant les branches mortes ou trop basses. C’est cette œuvre commencée par les premiers réformateurs que continue le christianisme libéral, en dégageant de plus en plus l’arbre de tout ce qui l’empêche de s’élancer vers le ciel. C’est ainsi qu’il deviendra l’arbre de vie sous lequel la foi religieuse de l’humanité retrouvera l’air, la lumière et les parfums qui fortifient sans enivrer, qui calment sans endormir.

Ce rêve sera-t-il une réalité ? Dieu seul et ses prophètes le savent; mais il est une chose que trois siècles de progrès nous enseignent avec certitude : c’est que le monde religieux s’achemine vers l’idéal rêvé par ses plus libres enfans. Parce qu’on le voit encore en immense majorité attaché au dogme et à ses plus minutieux détails, on en conclut qu’il n’a pas changé, qu’il ne changera pas, que l’orthodoxie de Rome, d’Augsbourg ou de Genève le tient enfermé dans ses étroites formules. C’est une erreur. Pour qui y regarde de près, il est manifeste que l’esprit se fait jour de plus en plus dans les consciences chrétiennes de notre temps, à travers la lettre qui l’a si longtemps opprimé. Si l’on veut juger de l’importance du mouvement religieux qui se produit au sein des sociétés modernes, il ne faut pas s’en tenir aux hardies entreprises qui éclatent tout à coup pour rentrer dans le néant; il faut suivre la lente et. sûre évolution qui se fait dans les âmes les plus esclaves de la lettre en apparence. Tout est resté debout, tout paraît également ferme dans le dogme chrétien tel que l’autorité l’impose à ses croyans; mais il n’y a guère qu’un lieu, même dans le monde catholique, où l’on ne voie pas qu’il a ses parties mortes et ses parties vivantes, que ces dernières seules en font la vertu et peuvent en assurer l’avenir. Malheur aujourd’hui surtout à qui oublie que la lettre tue et l’esprit vivifie ! Il semble que le véritable génie des temps nouveaux échappe également aux conservateurs du passé et aux révolutionnaires de l’avenir, à voir l’illusion des uns et le découragement des autres. Notre siècle a le goût de la tradition et du progrès tout à la fois. Il reste fidèle à l’une en gardant la lettre; il sert l’autre en s’inspirant de l’esprit. Il est visible qu’il se dégoûte ou se défie de plus en plus des coups de théâtre et des brusques changemens de scène qu’on appelle révolutions dans l’histoire des sociétés humaines. C’est l’évolution qui paraît devoir être la forme préférée du progrès moderne. Nous ne savons ce que l’avenir réserve au monde religieux.