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les particuliers manquent de la suite de vues et d’efforts nécessaires pour conserver, accroître et communiquer à tout un peuple le dépôt des connaissances qui lui sont indispensables. L’état doit donc entretenir des écoles. C’est un de ces cas d’intervention des pouvoirs publics admis même par Adam Smith et préconisé par Stuart Mill avec une force de raisonnement irrésistible.

Ainsi d’une part droit illimité des citoyens de fonder des écoles, mais d’autre part devoir de l’état d’en entretenir aussi aux frais du trésor public, voilà le régime qui existe en Belgique depuis 1830 et qui existera en France demain. Cela ne donnerait point lieu à des difficultés sérieuses, et en deux lignes la loi serait faite, si, comme conséquence de la liberté de l’enseignement, on pouvait proclamer la liberté complète des professions, sauf répression des délits; mais, pour certaines fonctions qui semblent pouvoir mettre en danger la vie ou la fortune des citoyens, comme celles de médecin, de pharmacien, d’avocat et de notaire, l’état croit devoir demander des garanties de capacité sous forme de diplômes, délivrés par des juges compétens après examen des candidats. Or ces diplômes, très importans dans notre société, puisqu’ils ouvrent la porte des carrières libérales, qui les délivrera? Tant qu’il n’existe que des facultés officielles, rien n’est plus simple : c’est aux professeurs de ces facultés qu’appartient exclusivement ce que l’on appelle la collation des grades académiques; mais, quand il y aura des facultés libres, elles ne tarderont pas à contester le privilège des professeurs officiels. On répétera en France tout ce qui a été dit en Belgique à ce sujet. — Celui qui est maître des examens est maître de l’enseignement. Il n’y a pas d’enseignement libre tant que les résultats doivent être appréciés par les professeurs des institutions de l’état, car les professeurs des écoles particulières sont obligés de régler leur enseignement d’après celui des examinateurs, sinon ils exposeront leurs élèves à un échec probable. Que devient alors l’indépendance de la science, et comment avec un pareil despotisme le progrès par la concurrence est-il encore possible? Que dirait-on d’une loi qui, en proclamant la liberté de l’industrie, déciderait en même temps que nul ne peut vendre ses produits, s’ils ne sont reconnus excellens par certains fabricans privilégiés qui ont longtemps joui du monopole, et qui veulent le conserver dans l’intérêt même des cliens, qu’ils seraient désolés de voir mal servis? Les bancs des écoles libres pourront-ils se garnir, si les élèves sont soumis à cette obligation peu équitable de faire constater leur capacité par le corps enseignant d’établissemens rivaux? Un homœopathe a-t-il chance de voir ses élèves agréés par un allopathe? Ainsi toute doctrine nouvelle sera une cause infaillible d’insuccès dans ces régions des hautes études qu’on prétend avoir affranchies. — Je résume l’ob-