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lieux-communs. Il sera amené à destituer tantôt un professeur d’hébreu parce qu’il aura interprété la Bible, tantôt un professeur de médecine parce qu’il est soupçonné de darwinisme ou de positivisme, ou de quelque autre nouveauté hétérodoxe. Passe encore que l’état fonde des écoles quand il en manque ; mais, lorsqu’il y en a pour tous les goûts et toutes les opinions, il est temps que le gouvernement s’abstienne. La nécessité seule l’autorisait à sortir du cercle de ses véritables attributions ; cette nécessité n’existant plus, il faut qu’il y rentre. Voyez les États-Unis, pays modèle en fait d’instruction publique. Les différens états dépensent sans compter des millions pour l’enseignement primaire, parce qu’ils sont seuls capables de l’organiser ; ils abandonnent l’enseignement supérieur à l’initiative individuelle, parce que les particuliers sont à même de l’entretenir et de le diriger. — À ce raisonnement, le parti des évêques applaudit, car, chose singulière mais très explicable, ceux qui rêvent comme régime de l’avenir la théocratie romaine vantent souvent comme régime actuel les lois américaines.

Aux amis de la liberté trop peu prévoyans et aux amis de l’église trop habiles, il n’y a qu’une réponse à faire, c’est celle-ci : en fait de gouvernement et de législation, la situation et les besoins d’un pays ne sont pas ceux d’un autre pays, et ce qui est excellent en Amérique pourrait être détestable en Europe. Il est certain que presque partout en Europe les partis seuls fonderaient des universités pour répandre leurs idées et conquérir la suprématie. Nous aurions des institutions entretenues par le parti clérical ou catholique, d’autres institutions érigées par les adversaires de ce parti. La science cesserait d’être une étude désintéressée, elle deviendrait une arme de combat. Involontairement, mais inévitablement, le professeur subirait dans ses recherches et dans ses conclusions l’influence des idées politiques qui ont érigé sa chaire. Chaque université formerait une corporation militante dont la mission serait de combattre le système de la corporation rivale. Ce serait un devoir, car chaque parti est convaincu que ses adversaires conduisent la société à sa perte. Il n’y aurait plus de place pour la science impartiale, et la jeunesse serait partagée en deux factions irréconciliables, préparées à la guerre civile par la guerre des doctrines. Là où il y aurait des partis homogènes, puissans et très hostiles les uns aux autres, il y aurait des universités libres, dans les conditions que nous venons d’indiquer ; il n’y en aurait d’aucune sorte dans les pays où de semblables partis n’existeraient pas. Voilà pourquoi il faut qu’en Europe l’état continue à maintenir un enseignement supérieur, et qu’il s’efforce de le rendre aussi fort que possible. Le but suprême, unique, doit être le progrès de la science et la recherche de la vérité. Ce n’est pas que le gouvernement ne doive