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fait la gloire, la richesse, la puissance d’un peuple. Quand un bienfaiteur de l’humanité fonde un hospice ou seulement un lit dans un hôpital, on applaudit; mais si quelqu’un, plus occupé du développement des esprits que de la conservation des corps et plus attentif au progrès des lumières qu’au soulagement des maladies, veut ériger une université ou doter une chaire, on repousse la main du généreux et intelligent donateur. Les fondations destinées à l’instruction publique sont plus dignes de la faveur du législateur que celles qui sont destinées à l’entretien des hospices, d’abord parce qu’elles répondent à un besoin plus élevé, ensuite parce que la charité privée, touchée par la vue des maux physiques, ne manquera pas de les soulager, tandis qu’elle restera indifférente à la misère morale et au grand mal de l’ignorance, lequel étant invisible ne frappe pas les sens. D’ailleurs, si l’on a proclamé la liberté de l’enseignement supérieur, c’est sans doute afin qu’elle donne lieu à la création d’institutions libres assez puissantes pour organiser des études sérieuses. Or, pour qu’elles puissent le faire et contribuer ainsi au progrès et à la diffusion de la science, il faut qu’elles aient le droit de compter sur l’avenir et de s’assurer des ressources permanentes. Établir une université digne de ce nom n’est pas l’œuvre d’un jour. Il faut qu’on sache qu’elle durera, sinon, création éphémère, elle n’aura ni professeurs ni élèves. Si son existence doit dépendre du produit éventuel de souscriptions annuelles, elle ne pourra jamais s’élever au niveau des anciennes universités. Les universités du moyen âge, celles de l’Angleterre, le Harvard collège aux États-Unis, se sont développés sur la base solide d’un fonds productif dont ils étaient propriétaires. Le sort des établissemens de l’état est assuré par le budget; si donc on refuse aux établissemens libres les moyens de durée indispensable, la concurrence est impossible et la liberté n’est qu’un vain mot. Le monopole est rétabli de fait.

D’ailleurs quelles objections peut-on invoquer? C’est un privilège, dit-on, et il ne doit plus y en avoir pour personne. Sans doute, mais l’université catholique ne réclame aucun privilège. Elle veut au contraire que, comme en Amérique, tout établissement d’instruction supérieure soutenu par la confiance du public et capable de rendre des services au pays obtienne également la personnification civile. — Mais, répondra-t-on, c’est un précédent dangereux; toutes les associations qui couvrent le pays, écoles, sociétés de musique ou de tir, couvens, réclameront la même faveur, et les personnes réelles seront écrasées sous ce réseau de personnes fictives. C’est tout simplement la reconstitution de l’ancien régime. Cette objection n’est point sérieuse, car le pouvoir législatif sera juge, et il n’accordera le droit de posséder qu’aux établissemens qui ré-