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écho. « Qui a vu Rome ne saurait plus jamais être absolument malheureux, » écrit Goethe, attribuant au souvenir de la ville éternelle cette vertu réconfortante propre aux idées philosophiques et religieuses, et il ajoute : « A peine de retour d’une excursion dans la montagne, me voici de nouveau sous le charme, tranquille, satisfait, travaillant dans le calme et l’oubli de tout ce qui se passe en dehors de moi, et paisiblement visité par les ombres de mes amis. »

Tasse et Iphigénie furent le produit du voyage en Italie. C’est à ces œuvres qu’il travaillait à Rome, et ces œuvres parlent assez haut pour qu’il soit inutile d’insister sur l’influence d’un tel climat. Lorsque Goethe quitta l’Allemagne, Weimar et sa société formaient tout son horizon; lorsqu’il y rentra, Weimar ne fut plus que le point d’où son action rayonna sur le monde. Au provincialisme avait succédé l’esprit d’universalité; c’était la même flamme qu’autrefois, mais plus calme, plus concentrée, éclairant l’espace du haut d’un phare. Avant que les circonstances l’eussent contraint à ce voyage, Goethe pouvait en quelque sorte avoir des doutes sur sa vocation. Que d’influences ne subissait-il pas, que de tiraillemens en sens divers, que d’élémens contraires à l’harmonique pondération de sa nature dont il allait se voir délivré, — ce goût de la politique et de l’officiel, par exemple, qu’il croyait être dans son tempérament, et qui n’était que le résultat de son amitié pour Charles-Auguste! « Je me suis retrouvé, écrit-il au grand-duc, et comme qui ? je me suis retrouvé comme artiste. » C’est à Rome que Goethe apprit que pour tenir dans le monde la seule place qui lui convînt, pour vivre en parfait accord avec lui-même, il lui fallait être poète. L’art en effet ne se contente pas de célébrer là ses plus beaux triomphes, il y enseigne aussi qu’il est le principe de vie. Comment, en présence de l’œuvre de Michel-Ange à la Sixtine, de Raphaël au Vatican, ne pas se dire que créer de pareilles choses est le plus noble emploi où le génie humain puisse jamais prétendre? Nulle part plus que sur ce terrain séculaire de la politique, l’action de l’art ne se montre utile et féconde. C’est que la politique ne gouverne que l’heure présente. L’instant qu’elle dirige a reçu de plus haut son impulsion : au-dessus, bien au-dessus des événemens, plane la force intellectuelle qui seule conduit les peuples vers leur destinée et donne leur rang historique aux nations. Qu’on mette dans un plateau de la balance toutes les victoires des Grecs, tout ce qu’ont fait de grand les Périclès, les Alcibiade, les Alexandre, et dans l’autre l’œuvre d’un Homère, d’un Eschyle et d’un Phidias; le poids de l’esprit l’emportera, l’intelligence de ces trois hommes prévaudra sur toute l’histoire politique de leur nation. Que serait Jules II sans Michel-Ange, sans Raphaël? Celui-Là cependant mit la main plus avant que per-