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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/99

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comme un phénomène passager et local, qu’il serait facile de détruire par quelques réformes dans l’enseignement public, ou par quelques améliorations de détail dans l’organisation de l’industrie.

Si le socialisme est un fait permanent, universel, un ferment qui se retrouve au fond de toute civilisation humaine, il n’en est pas moins vrai que les circonstances diverses du milieu social en favorisent ou en entravent le développement. Quelles sont donc les causes qui ont contribué à lui donner, de nos jours et sur notre terre d’Europe, une vigueur aussi subite et aussi alarmante ? — Il faut se garder d’une observation superficielle qui ne présente qu’une face du problème et par conséquent le dénature. Quelques publicistes, d’ailleurs distingués, n’ont voulu voir dans les dernières manifestations ouvrières qu’une « saturnale intellectuelle » et un « carnaval révolutionnaire. » D’autres les attribuent uniquement « aux sollicitations troubles des intérêts égoïstes prompts à prendre leurs désirs pour des réalités et leurs passions pour des vérités, » et se bornent à flétrir les « imaginations excitées par toutes les convoitises. » C’est une opinion généralement admise que les deux seules causes du socialisme sont l’ignorance et l’égoïsme, qui, de tout temps, ont entraîné les hommes à substituer leurs propres œuvres à celles de la nature. Il y a sans doute dans ces explications une très large part de vérité ; mais, pour découvrir les sources réelles de la crise qui préoccupe à si bon droit la société entière, il faut une analyse plus profonde et plus minutieuse. Tout se tient dans l’esprit et dans l’âme humaine, et l’on ne peut séparer les idées et les tendances sociales de l’ensemble des croyances d’un peuple. Il est impossible qu’un observateur sérieux ne découvre pas le lien qui rattache dans l’esprit de nos populations ouvrières la question sociale à la question religieuse. C’est le mérite principal d’un livre aussi instructif qu’attachant, écrit par un ancien ouvrier qui joua en 1848 un rôle parlementaire[1], d’avoir mis dans la lumière la plus vive cette face jusque-là obscure de la crise sociale que nous traversons. Il n’est assurément pas téméraire d’affirmer que dans une grande partie de nos populations ouvrières a disparu non-seulement toute adhésion à une religion positive, mais encore toute croyance, même vague et indécise, à la permanence de la personnalité humaine et à l’existence d’une autre vie. M. Corbon, qui plus que tout autre connaît les classes laborieuses pour en avoir fait partie, nous donne sur ce point les renseignemens les plus catégoriques. Parlant de la vie future, « tout ce qui avait autrefois germé en ce sens dans

  1. Corbon, le Secret du peuple de Paris. Voyez spécialement la quatrième partie intitulée la Religion du peuple.