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pratiquement les intérêts libéraux sans déclarer la guerre à ce que la volonté nationale a fait. La gauche radicale, ou républicaine, ou fermée, comme on voudra l’appeler, a peut-être pour elle cette apparence de logique qu’il y a toujours dans les partis absolus ; en réalité, elle est beaucoup moins logique que M. Picard, puisqu’elle fait la même chose sans l’avouer ; elle est simplement inconséquente avec cette irréconciliabilité qu’elle proclame et qu’elle ne pratique pas, qu’elle ne peut pas pratiquer parce qu’elle est impossible. On ne voit pas que se proclamer irréconciliable au nom d’une forme politique qu’on préfère, au moment où la volonté nationale bien ou mal inspirée se prononce dans un autre sens, c’est rompre avec cette volonté elle-même, c’est se mettre au-dessus du pays, c’est se placer dans cette situation où l’on est obligé à chaque instant de transiger avec un état de choses qu’on prétend ne pas reconnaître. Qu’est-ce donc que cette politique réduite à fléchir et à se désavouer sans cesse ? Pour être vraiment irréconciliable, il n’y a qu’un moyen, c’est de s’abstenir de tout et en tout. Si l’on n’agit pas ainsi, si l’on va au corps législatif, si on entre dans la discussion des lois, si l’on concourt avec un gouvernement à l’administration des intérêts publics, si on déclare, ne fût-ce que par tactique, qu’on a confiance dans un ministre, si l’on fait tout cela, on n’est plus qu’inconséquent. L’irréconciliabilité n’est qu’un mot sonore et vide qu’on fait retentir pour les esprits sans portée, en se réservant de travailler en commun avec ses concitoyens, dans la limite des lois, au bien du pays. Et voilà pourquoi le principe sur lequel la gauche radicale a prétendu se fonder n’est même pas un principe absolu, c’est une fiction sans logique par laquelle un parti se condamne à mettre une contradiction perpétuelle entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. C’est cette contradiction que des esprits comme M. Jules Favre, M. Gambetta, M. Jules Simon, prennent sérieusement pour de la politique, et qu’ils arborent sur leur petite église, qui par le fait n’est ni fermée ni ouverte.

Sans doute, nous en convenons, on peut être radical et rêver la république. En définitive, avant la république, qui n’est qu’un mot quand elle n’est pas un fanatisme, il y a toujours la liberté, et malheureusement en France, dans ce fractionnement de toutes les opinions, le parti qui s’affiche le moins est celui qui pourrait s’appeler le parti de la liberté pour la liberté. L’autre jour, dans une séance du corps législatif, l’honorable ministre des finances, M. Segris, répondant d’un accent passionné à des récriminations peu justes, se tournait vers l’opposition et s’écriait : « Quelle est donc la liberté qui vous manque aujourd’hui ? » Là-dessus, M. Garnier-Pagès, se levant tout effaré et plein des souvenirs de l’Hôtel de Ville de 1848, répliquait avec véhémence : « Nous n’avons pas le pouvoir constituant ! » Voilà la grande affaire ! il s’agit de liberté, on demande le pouvoir constituant ! Eh ! qu’en voulez-vous faire du pouvoir constituant ? Qu’avez-vous à constituer ? Avez-vous à nous bâcler une