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prendrions-nous pour empêcher l’Allemagne, la Suisse et l’Italie de réunir leurs efforts, de percer les Alpes, d’ouvrir une communication nouvelle au commerce des pays intéressés et de l’Europe tout entière ? Nous avons le Mont-Cenis, l’Autriche a le Brenner ; à côté du Saint-Gothard, le Splugen va être percé à son tour ; tout s’ouvre à la fois.

Il ne faut rien grossir. Est-ce dans un intérêt politique ou pour mieux dire dans un intérêt de puissance militaire que nous aurions quelque raison de nous émouvoir ? Quelques-uns des orateurs du parlement de Berlin, et M. de Bismarck tout le premier, se sont plu, il est vrai, à laisser entendre mille choses. Ils ont mis en avant les considérations des grands jours, la puissance de l’Allemagne, l’importance d’une communication directe avec l’Italie, « l’amie fidèle, » à qui on pourra tendre la main sans être gêné par personne. D’abord M. de Bismarck est coutumier du fait, et n’oublie jamais de recourir aux grands moyens quand il s’agit d’aiguillonner la lenteur raisonneuse de ses Allemands. Il y a peu de temps, pour rétablir la peine de mort en Saxe et dans les autres pays où elle était abolie, il invoquait l’unité allemande ; pour l’unité allemande, il était disposé à écraser sous son talon toutes les résistances. Aujourd’hui c’est le même argument qu’il tire du fourreau pour enlever le vote du subside en faveur du Saint-Gothard. L’imagination de M. de Bismarck va ici un peu au-delà de la réalité, et il n’y a pas encore de quoi s’effrayer. Nous ne voyons pas comment le chemin de fer du Saint-Gothard pourrait devenir une communication militaire ; entre l’Allemagne et l’Italie, il y a la neutralité suisse qui n’est pas une fiction qu’on puisse détruire ou violenter aisément. Le gouvernement helvétique, dans les arrangemens qu’il a signés, a réservé tous les droits de la Suisse ; il reste maître du chemin de fer, il peut prendre toutes les mesures défensives, mettre le passage à l’abri des fortifications qu’il construira, suspendre les communications, arrêter les trains. La Suisse en un mot resté ce qu’elle était, une masse impénétrable entre l’Allemagne et l’Italie, de sorte que sous ce rapport rien n’est changé. Au point de vue politique ou militaire, la question n’est point de celles qui peuvent exciter de sérieux ombrages. Elle a de l’importance sans doute, elle en a surtout au point de vue économique et commercial. Par le fait, l’ouverture du passage du Saint-Gothard se rattache à toutes ces tentatives qui se poursuivent depuis quelques années pour donner un nouveau cours aux relations de l’Europe avec l’extrême Orient, pour détourner les relations de la France et de Marseille.

C’est une lutte engagée où les combattans ne sont pas des armées, ce sont des intérêts, des villes comme Marseille, Trieste, Gênes, Anvers, Ostende, Hambourg : le champ de bataille, c’est l’univers ; mais ici que faire ? Point de susceptibilités vaines, nous ne pouvons vaincre qu’en accélérant nos communications, dont les Anglais nous reprochent la lenteur, en multipliant la facilité des relations, en abaissant nos tarifs, en