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se confondent, je pense, avec celles de notre espèce. L’humanité marche par étapes, et, à en juger par ce que nous savons, jamais race ni peuple ne sont passés de l’une à l’autre que sous une impulsion extérieure. C’est comme une sorte de ferment intellectuel que des tribus d’abord, puis des nations privilégiées se transmettent de siècle en siècle, et qui va réveiller des germes endormis. Rencontrant à chaque fois des élémens différens, il suscite des manifestations jusque-là inconnues. Tout en héritant de leurs prédécesseurs, les civilisations qui se succèdent ne leur ressemblent pas, et leur sont toujours supérieures à certains égards. En s’élevant, elles étendent leur domaine et englobent des populations Ad plus en plus nombreuses. Voilà comment le monde grec a été suivi du monde romain, beaucoup plus étendu sans doute, mais bien étroit encore si on le compare au monde moderne. Des races entières sont donc restées pendant des siècles en dehors du grand mouvement ascensionnel qui a produit l’état de choses que nous voyons, ou n’en ont ressenti les effets que par contre-coup. Elles ne sont pas pour cela restées entièrement stationnaires, et, sans s’élever aussi haut, elles ont reproduit en petit des phénomènes analogues dans divers petits centres isolés.

Le Danemark a été un de ces centres. Le fer, le bronze et les civilisations caractérisées par la présence de ces deux métaux lui sont évidemment venus du dehors. Malgré l’esprit de patriotisme qu’ils mettent à l’examen de ces questions, les savans scandinaves ne l’ont pas contesté. Peut-être devraient-ils aller plus loin. Il me paraît bien probable qu’il en est de même de la pierre polie, connue dans le reste de l’Europe dès les temps des kjœkkenmœddings. Arrivées en Danemark, ces industries se sont rapidement naturalisées, comme l’attestent les polissoirs, les moules, les épées à lame seulement ébauchée qui figurent dans les musées. Par suite de leurs conditions géographiques et de leur isolement, la presqu’île du Jutland, l’archipel danois, sont restés en dehors du mouvement classique. Une civilisation locale, dont l’existence est attestée par l’uniformité des arts nationaux, s’y est développée, a franchi le Sund, et s’est répandue au nord dans la Suède et la Norvège. Au sud, elle paraît s’être arrêtée à l’Eider, qu’ont passé bien plus tard seulement des colons de race germanique[1]. Sous l’empire de croyances, d’institutions, de mœurs, qui leur étaient devenues communes, les races primitives se sont amalgamées et fondues. Ainsi s’est constitué le

  1. Worsaae, Antiquities of South-Jutland. Aujourd’hui la race germanique domine dans le Slesvig méridional. Les votes émis dans ces dernières années permettent de tracer avec précision la ligne frontière des deux races. Elle s’étend de l’est à l’ouest du sud de Flensbourg à la ville de Heler.