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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/236

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REVUE DES DEUX MONDES.

avait caché l’assassinat de son compagnon. L’enfant avait entendu un cri, et tout de suite après il avait vu Bird à terre à la même place où Baldwin était tombé avant lui ; celui-ci s’était relevé, la figure tout ensanglantée, un revolver à la main, et en trébuchant il s’était traîné vers le rempart derrière lequel l’enfant se tenait caché. Là, dans une langue étrangère que le témoin ne pouvait comprendre, il avait crié quelque chose ; il n’avait dit que trois ou quatre mots, et las mêmes mots il les avait répétés trois ou quatre fois. Il avait tenté ensuite de passer par-dessus le rempart ; mais au même instant les officiers, abandonnant Bird, s’étaient retournés contre Baldwin. L’enfant s’était fait petit pour ne pas être aperçu ; il avait entendu un second cri, plus horrible encore que le premier. Après cela, tout était redevenu tranquille. Eu relevant la tête, il vit un des officiers ramasser une poignée de feuilles et essuyer son sabre ; immédiatement après, les deux hommes avaient disparu. Pendant quelques minutes encore, l’enfant était resté blotti dans sa cachette ; lorsqu’il avait jeté un dernier regard sur la scène du meurtre, Baldwin se traînait sur ses genoux vers le puits où Bird était toujours couché sur le dos. Deux fois il était tombé sur le côté, mais il s’était relevé et ne s’était arrêté que lorsqu’il avait été près de Bird ; là, il s’était laissé choir de tout son long, la figure contre terre. L’enfant avait couru à la maison, et avait raconté à ses parens ce qui venait d’avoir lieu.

Ce témoignage complet, portant le cachet d’une entière bonne foi, fut corroboré dans le courant de l’instruction par d’autres témoignages d’une importance secondaire. Un point cependant resta complètement obscur : tous ceux qui avaient trouvé Baldwin et Bird après le meurtre étaient unanimes dans la déclaration que les deux malheureux avaient encore vécu quelque temps, et avaient même échangé quelques paroles ; mais le post mortem examen, dirigé avec un soin minutieux par le chirurgien du régiment, démontra de la manière la plus positive que Bird n’avait pu survivre une seconde au coup qu’il avait reçu dans la nuque, et qui devait avoir eu l’effet foudroyant de la décapitation. On était ainsi conduit à supposer que les hommes qui avaient trouvé le malheureux, que peut-être les fonctionnaires appelés à constater le double meurtre avaient de sang-froid achevé la boucherie commencée par les deux assassins, afin de supprimer un témoignage embarrassant, car Bird, quoique ses bras et ses jambes eussent été hachés par les grands sabres japonais, ne portait cependant qu’une seule blessure mortelle, celle de la nuque. Baldwin avait exhalé sa jeune vie par une blessure qu’il devait avoir reçue lorsque, s’efforçant de passer par-dessus le rempart, il avait tourné le dos à ses ennemis. Un coup de plus de