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SIMIDSO SEDJI.

rière lui, s’était placé à sa gauche, — et sur la réponse affirmative qu’il reçut, il continua : « Verse alors de l’eau chaude sur ton sabre et attends quelques instans. Je veux chanter encore une fois, et lorsque j’aurai terminé, je me tournerai vers toi et je te dirai yo (bien). J’avancerai alors le cou, et je resterai immobile ; tu pourras viser et frapper sans précipitation. » Après avoir dit ces paroles, une horrible contorsion bouleversa ses traits, et ses yeux se fixèrent dans un strabisme hideux. Il ressemblait ainsi aux tableaux sur lesquels les demi-dieux et anciens héros du Japon sont représentés combattans et mourans ; la figure contorsionnée ainsi, il ouvrit la bouche, et, d’une voix forte et claire dont les notes aiguës et soutenues fendaient l’air et s’entendaient à une longue distance, il chanta : « À présent meurt Simidso Sedji, le noble sans maître. Il meurt sans remords, car tuer un barbare est l’honneur du patriote. » Puis se tournant vers l’exécuteur, il le regarda quelques secondes fixement, et d’un ton ferme il cria : Yo ! Tendant ensuite le cou comme le corbeau lorsqu’il veut prendre son vol, serrant la mâchoire à se broyer les dents, immobile, il attendit.

Sa tête fut portée à l’entrée de Yokohama où, pendant trois jours, elle resta exposée aux yeux des passans. Beato en prit une photographie que j’ai conservée. La mort a apaisé les traits contorsionnés au moment de l’exécution, et je retrouve dans l’image la figure hautaine et cruelle de l’assassin des deux officiers anglais.

Son complice, le prétendu Tzé-ziro, fut arrêté quelques mois plus tard. Les renseignemens que la torture avait arrachés à Sedji étaient complètement faux. Tzé-ziro, dont le nom véritable était Mamiya Hadsimé, avait dix-neuf ans ; il avait la figure douce, les traits réguliers et agréables ; rien dans son apparence qui pût faire supposer que cet enfant était un homme capable des dernières violences. Il fut décapité dans la cour de la prison de Tobi, en présence d’un petit nombre d’étrangers. Sa mort ne ressembla point à celle de Sedji. Il paraît que ses juges avaient craint de le voir faiblir au moment fatal et lui avaient administré quelque narcotique. Il sortit de la prison chancelant, ivre-mort, soutenu par deux hommes, ne sachant point ce qu’il faisait et où il allait ; une vague frayeur était seule répandue sur sa figure, et, comme une brute qu’on égorge, se débattant impuissant entre les mains de ses bourreaux, il reçut le coup mortel.


Rodolphe Lindau.