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restait en Pologne pour entretenir la suite des affaires avec le gouvernement local. Il correspondait en même temps avec l’ambassade à Dresde et avec la cour à Versailles. M. Castéra reçut, à l’insu de l’ambassade comme du ministère, l’ordre secret, signé de la main du roi, d’avoir à recevoir, à transmettre et à entretenir les confidences des nobles Polonais qui songeraient, pour un avenir indéterminé, à l’élection d’un prince français.

Telle fut l’origine de l’affaire secrète, et cet obscur agent fut le premier confident de la pensée intime du roi. Pourtant le cercle s’étendit peu à peu; Conti, à qui le roi se plaisait à faire rendre compte en cachette de sa négociation subreptice, fit observer que, pour que le moment favorable pût être promptement saisi lors de la vacance du trône, il fallait que dans les cours voisines de la Pologne la France fût représentée par des agens, sinon initiés au plan secret, au moins disposés à l’accueillir favorablement et à y prêter de bonne grâce leur concours. Il prit de là occasion pour intervenir dans la nomination des ambassadeurs à désigner pour les différentes cours du nord, et appela le choix du roi sur ses amis personnels. Ce petit manège était d’autant plus aisé à pratiquer et à dissimuler que, la compagnie habituelle du prince se composant des seigneurs les plus éclairés et les plus honnêtes gens de la cour, aucun des noms qu’il suggéra, et que proposa le roi à son ministre, n’était de nature à soulever d’objection grave. C’est ainsi qu’il désigna successivement le marquis d’Havrincourt pour la Suède, M. Desalleurs pour Constantinople, le chevalier de la Touche pour Berlin, sans que ces divers noms causassent aucune surprise. Chacun de ces envoyés sut toutefois en partant à qui sa promotion était due, et fut tacitement autorisé à en témoigner sa reconnaissance en correspondant avec Conti sur les affaires de sa mission. Aucun n’eut le secret proprement dit, mais tous prirent l’habitude d’écrire au Temple en même temps qu’à Versailles.

Conti, très soigneux de se ménager les occasions d’entrer dans le cabinet du roi, ne manqua pas, à chaque envoi qu’il reçut, d’aller en faire part au maître. De là des conversations répétées et bientôt des conférences en règle qui portèrent tantôt sur l’ensemble de la politique de l’Europe, tantôt sur les détails et les anecdotes de chaque cour en particulier. Conti trouvait plaisir à ce rôle de ministre des affaires étrangères en imagination. Le roi trouvait piquant de contrôler pour ainsi dire en dessous la conduite de son ministère, et de s’assurer que rien en Europe ne se passait à son insu. Ce double jeu se prolongea, non sans attirer l’attention et sans exciter la surprise des courtisans. « Le prince de Conti, dit le duc de Luynes dans son journal du 14 février 1748, travailla dimanche dernier avec