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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/290

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Quoi qu’il en soit, les deux princes Czartoryski, parlant en maîtres sous le toit de leur nièce, étalaient avec ostentation aux yeux de l’envoyé français leur alliance intime avec les ministres anglais et russe, ainsi que leur crédit, alors sans bornes, sur le roi Auguste et sur son favori, le comte de Brühl. Ce souverain et ce ministre, bien dignes l’un de l’autre, ne songeant, celui-ci qu’à ses plaisirs, celui-là qu’à ses intérêts pécuniaires, se sentaient mal à l’aise en Pologne, où la langue même ne leur était pas familière, et où tous les ressorts du gouvernement leur paraissaient difficiles à manier. Ils se jetaient volontiers dans les bras d’une maison très puissante qui, en échange de cet abandon du pouvoir, leur assurait, à l’un le repos, à l’autre l’argent qu’ils désiraient. Les Czartoryski avaient donc, sous le nom du roi, la pleine disposition de toutes les grâces. Pour lutter contre des adversaires si bien pourvus, le comte de Broglie ne trouvait autour de lui qu’un parti épars, découragé par le souvenir de sa défaite et par le long jeûne de toute espèce de faveurs qui en avait été la suite. Pour rallier ce parti, il n’avait sous la main que quelques agens usés et vieillis, dont toute l’action se bornait depuis des années à distribuer à des amis aussi impuissans qu’eux-mêmes quelques milliers d’écus que le ministère français leur faisait passer par habitude, et dont ils ne manquaient pas de garder la plus grosse part. On ferait un tort injuste à la noblesse polonaise, si l’on considérait comme de véritables moyens de corruption ces dons pécuniaires qu’elle ne se faisait aucun scrupule de recevoir des cours étrangères. C’étaient plutôt des subsides de guerre, tels que les états pauvres en ont toujours publiquement reçu de leurs alliés plus riches. Tout seigneur polonais se considérait comme le capitaine d’une petite armée, et trouvait naturel qu’elle fût équipée et nourrie par la puissance dont il embrassait les intérêts. Toujours est-il que le nombre et surtout l’ardeur des partisans de chaque puissance dépendaient plus ou moins de sa générosité, et, celle de la France s’étant fort réduite dans ces derniers temps, son crédit baissait en proportion. Ce n’était pas avec uns modique somme de 80,000 francs, prélevée sur la cassette particulière du roi, que le comte de Broglie pouvait espérer de le relever en un jour. Il le tenta cependant, et moyennant cet argent, placé en à-compte de promesses plus brillantes, il eut bientôt trouvé à Bialystock même des agens plus jeunes et plus actifs, en compagnie desquels il arriva, dès le commencement d’octobre, sur le théâtre de la diète. Là, ses nouveaux amis l’introduisirent dans les groupes nombreux qui se formaient autour de l’assemblée, et le mirent en rapport avec les meneurs. Leur tâche fut singulièrement facilitée par la familiarité de bonne humeur avec laquelle on vit, dès le premier jour, l’ambassadeur, dépouillant toute étiquette, se mêler à ces bruyantes