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s’y mêlait même des pierres ponces et des débris noircis par le feu. Soudain on est arrêté : on ne peut approcher du rivage. La mer n’a plus assez de profondeur, a soit qu’elle ait reflué, soit que la montagne l’ait en partie comblée par ses éboulemens. »

Ici il faut éclaircir le récit de Pline l’Ancien ou plutôt de ceux qui l’accompagnaient, car on ignore si les tablettes sur lesquelles il ne cessait de prendre des notes ont été rapportées à son neveu ; Pline le Jeune, dans tous les cas, a pu consulter des centaines de témoins oculaires. La chute des cendres, des pierres ponces, des débris carbonisés, est confirmée par les fouilles de Pompéi ; mais que signifie cette retraite de la mer ? Pourquoi le rivage est-il devenu inabordable ? Pourquoi les navires, au lieu d’entrer dans le petit port de Retina, doivent-ils rester au large et sont-ils exposés à toucher, faute de profondeur ? Le Vésuve n’a pas encore rejeté assez de matière pour combler le fond de la mer ; il n’y a eu ni éboulemens, ni coulées de lave. Évidemment il s’est produit un soulèvement de la côte bien plus fort que celui qui a été observé en 1861 par M. Sainte-Claire Deville, et qu’il supposait très judicieusement être l’effet des laves incandescentes répandues dans les anciennes fissures, se glissant sous les laves antérieures, les dilatant, les soulevant. Le sol s’est alors exhaussé, a déplacé le niveau des eaux, et rendu inabordables aux grands navires des lieux qu’ils pouvaient auparavant accoster. De là ce bas-fond subit, vadum subitum, qui arrête les galères romaines et les force à rebrousser chemin en abandonnant à leur triste sort les soldats de la flotte aussi bien que les habitans des villas. La mer ne s’était retirée que parce que le rivage s’était relevé, et parce que les coulées de lave des éruptions primitives étaient travaillées par l’action souterraine des laves de l’éruption présente. Il faut renoncer à peindre l’état de tous ces malheureux qui déjà probablement avaient donné l’assaut aux petits navires et aux barques tirées sur le rivage ; repoussés par de plus vigoureux ou prévenus par de plus diligens qui avaient pris le large, ils s’étaient réjouis à la vue de la flotte de Misène. Leur joie fit place au plus profond désespoir lorsque la flotte s’éloigna sans avoir pu communiquer avec eux. Fuir sur Herculanum ou sur Pompéi, ce n’était que choisir le genre de mort ; la plupart sans doute attendirent ce qui était inévitable.

Pline, ne pouvant aborder à Retina, se dirigea sur Stabies, située au pied du mont Lactarius. Dans ce temps-là, le golfe de Naples formait un repli beaucoup plus profond entre Stabies et Pompéi. Les matières vomies par le volcan et rejetées par les flots ont comblé ce repli et substitué une plaine fertile à ce qui était jadis la mer. La terre a gardé une surface d’une égalité qui rappelle le niveau des