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tits chevaux au bruit monotone du tourbillon qui les enveloppe. Nous aimons mieux errer dans la campagne, dont le riant spectacle rafraîchit et délasse après les longues heures du jour. Qu’elles sont belles ces routes bordées d’élégantes maisons et ombragées de manguiers, de tamariniers, de bambous! Qu’ils sont gracieux ces villages tagals, encadrés dans une luxuriante verdure qui laisse entrevoir le rideau bleuâtre des montagnes de la Lagune ! Quel air de paix et de bonheur dans toute cette population! Sampáloc, Mariquina, San-Fernando de Dilas, Santa-Ana, Malabon, tous ces noms des environs de Manille éveillent aujourd’hui en moi des souvenirs d’une indicible poésie, que je ne puis séparer des souvenirs de l’ami qui a partagé avec moi toutes les émotions de ce long voyage; mais la ville n’en est que plus chaude et plus, triste quand il faut y rentrer pour la nuit.

Une occasion s’offre à nous de faire une excursion en province ; nous la saisissons avec empressement. M. P., négociant français, qui occupe depuis de longues années une position élevée dans le commerce de Manille, et à la parfaite obligeance duquel nous sommes redevables de plus d’un détail intéressant, nous met en relation avec M. Martinez, qui possède des propriétés et une fabrique de sucre dans la Pampanga. Cette province borde la baie de Manille du côté du nord.

Le 10 avril, le vapeur Filipino nous transporte en trois heures à l’embouchure de la rivière Pásig, dont nous remontons le cours pendant quelques kilomètres entre des rives couvertes de palétuviers et de nipa. Du village de Guagua où nous débarquons, nous gagnons le chef-lieu de la province, Bacólor, illustré au siècle dernier par la glorieuse résistance de D. Simon de Anda dont nous avons déjà parlé. C’est chez le gouverneur de la province que nous descendons. Sa maison est appelée la Maison-Royale (Casa-Real) ; lui-même a le titre d’alcade-mayor. On ne saurait être plus empressé que don Juan Muñiz Alvarez. Après nous avoir fait les honneurs de sa maison, il veut nous faire lui-même les honneurs de sa province : il nous mène chez M. Martinez. En avant de sa voiture galopent quatre cavaliers indiens de misérable apparence et singulièrement équipés : ils portent la blouse et le chapeau blanc des troupes des Philippines, et sont armés de lances aux flammes rouge et jaune, couleurs espagnoles; perchés sur des selles de forme étrange, ils ont pour étriers des blocs de bois grossièrement taillés dans lesquels un creux imperceptible ne leur permet d’appuyer que le gros orteil de leurs pieds nus. Les chevaux sont aussi mal tenus que les hommes. Les cuadrilleros (c’est ainsi qu’on nomme ces irréguliers) sont une milice destinée à purger le pays des bandits (tulisanes), qui