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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/361

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vinces ! Aussi n’y séjournons-nous que le moins possible et ne tardons-nous pas à reprendre nos excursions. Après avoir parcouru la province de la Laguna, nous allons visiter celle de Batangas, où nous attire particulièrement une des curiosités géologiques de Luçon, le volcan de Taal.

Nous nous rendons d’abord au village de Pateros, dont le curé, fray Agapito Apiricio, veut bien nous accompagner. De là, une banca poussée par une bonne brise nous mène en quatre heures à Viñang. Point de transports publics en ce pays ; le voyageur ne peut compter que sur la complaisance des particuliers. À Viñang, un métis nous prête sa voiture ; plus loin, à Calamba, deux calèches à quatre chevaux nous attendent : ce sont les équipages d’un curé. Les petits chevaux indigènes ne coûtent pas cher, et ce n’est pas un grand luxe aux Philippines qu’une voiture et un attelage. Le padre Alvaro d’ailleurs a une cure importante, Tanâuan, village peuplé de 17,000 habitans. Les principaux et les cuadrilleros de ce village forment une nombreuse escorte ; les uns portent de beaux salacots en corne de buffle aux ornemens d’argent, les autres sont armés de dagues et d’épées du XVIe siècle. On voudrait voir en d’autres mains que celles d’une milice en haillons les armes des premiers conquérans de l’archipel ; c’est une dérision de lire aujourd’hui sur ces épées déchues la belle devise de la chevalerie castillane : « no me saques sin razon ni me envaines sin honor (ne me tire pas sans raison, ne me rengaine pas sans honneur). »

La route pourrait être mieux entretenue, mais la beauté du pays fait oublier les cahots. Nous traversons à chaque instant, sur des ponts en bambou qui craquent et fléchissent sous le poids de la voiture, des ravins remplis d’une végétation touffue. On aperçoit à l’horizon la fumée du volcan de Taal ; on la prendrait aisément pour une de ces nuées d’orage que l’on voit en été s’élever en une épaisse colonne avant d’envahir le ciel.

Tanáuan est un riche village autour duquel poussent tous les produits de ce sol fertile, et entre autres deux plantes que nous n’avons pas encore rencontrées : l’abacá ou chanvre de Manille et le coton. Les indigènes fabriquent avec l’un et l’autre des étoffes qu’ils vont vendre à la capitale, ou qu’ils gardent pour leur usage. Malgré les droits élevés dont sont frappées à leur entrée les cotonnades étrangères, la culture du coton est encore très peu répandue dans l’archipel, et ne suffit même pas aux besoins des habitans. L’abacá au contraire est devenu l’un des articles les plus importans du commerce des Philippines. Le port de Manille en exporte annuellement pour environ 2 millions de piastres[1], dont près des deux tiers aux

  1. 434,000 piculs, environ 27,500,000 kilogrammes.