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États-Unis. L’abacá se tire d’une espèce de palmier (musa textilis). On coupe la plante dès que les régimes commencent à se former, et l’on extrait les filamens du tronc ; les plus forts servent à fabriquer des câbles et de la toile à voiles, ce sont ceux qui s’exportent; les plus fins restent dans le pays. Les Indiens les mêlent à la soie pour tisser les étoffes légères dont sont faites leurs élégantes chemises.

Le 19 juin, avant le jour, nous descendons vers le lac de Taal par une obscurité profonde, en suivant un chemin raboteux où notre voiture manque de verser plus d’une fois. Sur la plage du lac, dont le sable est couleur de cendre, nous trouvons tous les principales du village de Talrsay, hommes et femmes. Celles-ci ont pris leurs plus riches costumes, leurs grands peignes d’or, leurs pierreries; à leur tête est la capitana Ramona, veuve d’un capitan pasado. Elles nous ont amené une banca faite d’un tronc d’arbre colossal, et qui n’a pas moins de 2 mètres 1/2 de large sur 1 de profondeur. Elles l’ont élégamment ornée, et y ont disposé des planches et des coussins pour que nous puissions nous y étendre, les deux padres qui sont du voyage, nous et elles aussi, car elles demandent à nous accompagner au volcan. Nous voilà donc mollement couchés dans la banca au milieu de sept femmes indiennes qui, le cigare à la bouche, échangent avec les deux moines des plaisanteries en langue tagale. C’est un curieux tableau des mœurs de ce pays.

Le lac de Taal a des eaux transparentes et un peu saumâtres. Au milieu se trouve une île peu élevée, dont la couleur de cendre contraste avec l’éclatante verdure des bords du lac; c’est le volcan de Taal. Il lance une prodigieuse colonne de fumée d’où tombent des cendres en abondance, pareilles à la pluie qui descend comme par franges d’un nuage éloigné. Cette cendre est emportée par le vent à de grandes distances. A Tanáuan, où nous étions à 17 kilomètres du volcan, elle se déposait partout en une poussière impalpable. Nous sommes obligés, pour gagner notre point de débarquement, de traverser cette pluie de cendre; l’atmosphère empestée de soufre gêne la respiration, le soleil est voilé pendant quelques momens, les rives du lac disparaissent entièrement.

Moins de trois quarts d’heure d’ascension sur une lave qui semble coulée d’hier, tant les moindres aspérités en sont intactes, nous amènent au bord du cratère, dont la vue est réellement imposante. C’est un vaste cirque qui a 2,500 mètres de diamètre et 800 à 1,000 de profondeur. Sur ses parois coupées à pic, on distingue les stratifications de lave accumulées par une série d’éruptions. Au fond, à côté d’un monticule en demi-cercle, s’est formé un lac d’une eau entièrement verte, et sur le monticule un autre plus petit. A côté de celui-ci se trouve le cratère actuel, d’où sortent par bouffées