Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet archipel devrait être aujourd’hui soumis à nos lois...; les glorieux exploits de nos soldats sont restés stériles faute de direction. Une direction meilleure aurait, avec moins de sang, moins de dépenses, moins de bruit, amené de plus heureux résultats. » La situation n’a pas fait de progrès depuis l’époque où le chroniqueur écrivait ces lignes, et l’on ne peut s’empêcher, en regardant en arrière, de déplorer comme lui que tant de vaillans efforts soient demeurés inutiles. Les quelques établissemens que l’Espagne possède à Mindanao ne lui procurent aucun avantage matériel, et elle les aurait sans doute abandonnés depuis longtemps, s’ils ne lui servaient à affirmer son droit de possession sur l’île entière, si elle ne comptait en faire un jour les bases de la conquête. Cette conquête lui semble une vaste entreprise, et elle hésite à s’y lancer. Enfermée dans les postes qu’elle occupe, elle y est pour ainsi dire assiégée, et se contente de faire des sorties pour s’y maintenir. Elle dépense ainsi en pure perte la vie de ses soldats et l’argent de sa colonie. Occuper petit à petit le territoire au lieu de se borner à de vaines incursions, gagner les chefs, se concilier les populations en respectant leur organisation et leurs coutumes au lieu d’entretenir leurs haines par des dévastations périodiques, telle devrait être, il semble, la politique de l’Espagne à l’égard de Mindanao. Il faudrait pour cela que le gouvernement colonial donnât aux affaires du sud une attention soutenue ; il faudrait aussi y consacrer de plus fortes sommes; cette augmentation de charges serait amplement compensée dans l’avenir par un accroissement de puissance et de richesse.

L’Espagne occupe, outre Cotabato, trois points dans le delta du Rio-Grande. Le plus éloigné, Tumbao, n’est qu’une redoute située au sommet du delta, à environ 25 kilomètres de la mer; les autres, sur le bras sud, sont Taviran, qui n’est aussi qu’une redoute, et Tamontaca. A Tavïran comme à Tumbao, nous trouvons quelques soldats commandés par un lieutenant d’infanterie espagnol. C’est une triste vie que celle de ces malheureux Européens enfermés avec des Indiens au milieu du pays des Mores, dans un étroit espace d’où ils ne peuvent sortir sans s’exposer à une mort certaine.

En quittant Cotabato, nous disons adieu à une aimable société d’officiers dont le cordial accueil nous laisse les meilleurs souvenirs. Après un court séjour à Pollok, le Narvaez nous transporte à Basilan, d’où un autre navire de guerre, le Don-Jorge-Juan, nous ra mène à Zamboanga, et nous emporte bientôt après vers les Bisayas. Le 21 mai, vers le soir, nous mouillons devant la ville de Cebú, dans l’île du même nom, fondée en 1571 par don Miguel Lopez de Legaspi. Cebú est tout en fête pendant le séjour de l’amiral; le gouverneur général des Bisayas s’épuise en efforts pour le bien rece-