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voir. Un bal qu’il a trouvé moyen d’organiser figure au nombre des divertissemens. La société est assez nombreuse ; les dames sont toutes Indiennes ou métisses, à l’exception de deux. Les jeunes danseurs espagnols se disputent ces deux visages blancs; c’est à qui obtiendra la faveur de quelques momens de habanera; elles règnent en souveraines au milieu des figures brunes. Et qui sont donc ces belles dames? Ce sont, nous dit-on, deux Espagnoles de l’île de Majorque; elles ont été cuisinières d’un ancien employé de la colonie, et le grand dîner que nous a donné le gouverneur était l’œuvre de leur talent.

Une excursion nous permet de constater que l’île de Cebú ne diffère guère de Luçon : partout nous sommes reçus à grand renfort de pétards et de musique; villages et habitans ont le même aspect, le même air de prospérité. De tribus sauvages habitant différentes îles et séparées les unes des autres, le christianisme a fait un peuple chez lequel on retrouve partout les mêmes lois, les mêmes mœurs, le même costume, presque la même langue, au point qu’un Bisaya est peut-être moins étranger parmi les Tagals qu’un Basque ne l’est en Andalousie. Le pays est bien cultivé, et produit du cacao, de la canne à sucre, du maïs et de l’abacá, les collines fournissent de beaux bois de teinture et de construction.

Le Don-Jorge-Juan nous ramène de Cebú à Manille. Nous avons passé de charmantes heures, tant sur terre que sur mer, pendant ce voyage au sud des Philippines. En traversant tout l’archipel dans sa plus grande longueur, nous avons vu la plupart de ses innombrables îles; de toutes on peut dire, comme on l’a dit de Basilan, qu’elles semblent de grandes corbeilles de verdure à demi plongées dans un lac. La nature leur a donné à toutes, en même temps qu’un sol d’une incomparable fertilité, un éclat et une grandeur dans les aspects qui charment et qui saisissent.

Les Philippines sont un Éden et une mine d’inépuisables richesses. Une position exceptionnelle, également voisine de la Chine, de la Cochinchine, des îles de la Sonde et des Moluques, peu éloignée de l’Inde et de l’Australie, pourrait en faire le principal centre commercial des mers de l’Indo-Chine. Les richesses de l’archipel sont encore imparfaitement exploitées, nous l’avons dit. Il est incontestable cependant que la colonie est en progrès : malgré l’ouverture de nouveaux ports, le mouvement commercial de celui de Manille a presque triplé depuis 1851; mais il s’en faut de beaucoup que l’état de la colonie réponde à ses ressources naturelles. Il sera difficile toutefois de rien entreprendre de sérieux tant que le haut personnel sera constamment changé pour satisfaire à des ambitions de parti, tant que la plupart des employés ne viendront d’Espagne