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3,000, ou même de 4,000 voix. Ce n’est pas là un cas exceptionnel : les majorités de 4,000 voix sont déjà considérées comme fort respectables, et plus d’un député se trouve dûment élu par une majorité de 1,000 suffrages. Les dernières vérifications de pouvoirs en font foi. Faites maintenant le calcul : d’une part 17,000 votans qui ont gain de cause, d’autre part 13,000 voix annulées, auxquelles il faut ajouter 5,000 abstentions; total, 18,000. Le député est donc nommé par 17,000 suffrages contre 18,000, en d’autres termes par la minorité. Et encore, nous le répétons, encore avons-nous eu bien soin de prendre les chiffres les plus larges et les moins favorables à notre propre thèse. Combien, à l’heure qu’il est, nous pourrions citer de députés dans ce cas, tant parmi les conservateurs que parmi les opposans, tant en province qu’à Paris! Cependant le mandataire ainsi élu passe en tous lieux pour le représentant véritable de tous les électeurs de sa circonscription. Chaque jour, en parlant d’un député nommé par 18,000 suffrages, — chiffre officiel, — on l’appelle bravement le mandataire de 40,000 électeurs!

Mais au moins, dira-t-on, ce n’est pas là la règle générale, et, lorsque les députés assemblés décident souverainement, on peut être certain que leur décision est d’accord avec la plus forte partie de la nation et s’appuie sur la majorité du corps électoral. Eh bien ! non; là encore règnent l’incertitude et l’arbitraire. Nous avons vu tout à l’heure que le système actuel, lorsqu’il ne décourage pas jusqu’à produire l’abstention, réduit du moins fatalement aux coalitions les opinions qui se sentent isolément trop faibles. Le résultat est de mettre en présence deux partis seulement, dans l’un desquels, bon gré, mal gré, tout candidat, tout électeur doit venir se fondre. On vote, et l’un des deux partis, plus nombreux, mieux discipliné, mieux servi par les hasards des circonscriptions, accapare la représentation nationale presque tout entière. Que se passe-t-il au lendemain de la victoire? La chambre, composée d’élémens coalisés, mais non pas homogènes, se divise sur une question. Que représente alors la décision prise? Un tiers, peut-être un quart de la nation, car la chambre déjà n’en représentait que la plus forte partie, et voici qu’à son tour cette plus forte partie se divise en deux groupes, dont le plus nombreux fait seul la loi. Et qu’on ne vienne pas nous accuser d’inventer à plaisir des hypothèses fantastiques, les exemples ne sont pas si loin de nous. A-t-on déjà oublié qu’en 1852 le corps législatif n’était absolument composé que de candidats bonapartistes? A-t-on oublié qu’en 1857 cinq dissidens seulement pouvaient trouver accès à la chambre? Prétendra-t-on par hasard qu’alors le pays tout entier était bonapartiste, sans aucune dissidence, sans aucune nuance? On eût bien vu le contraire,