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si la certitude d’être vaincus n’eût poussé à l’abstention les opposans de toutes couleurs. Rien n’est plus aisé d’ailleurs à prévoir, même en l’absence de toute pression gouvernementale, que le retour d’un pareil fait. Un parti, même puissant, pour peu qu’il soit disséminé et honnête, doit succomber en présence d’une coalition vigoureusement organisée et prête à ne reculer devant aucun moyen. Et c’est justement alors qu’une fois la bataille gagnée, la division se glissant parmi les alliés de la veille, la minorité de la représentation et la minorité non représentée des électeurs peuvent ensemble constituer la majorité de la nation, si bien qu’au bout du compte la moindre partie du pays peut commander à la plus forte.

Tels sont les fruits du système actuel : il anéantit le droit d’une portion des électeurs, il met au cœur de la nation l’antagonisme, la lutte et la haine; il viole chez les citoyens la liberté du vote, il pousse à l’abstention et au désintéressement des affaires publiques, et enfin, pour couronner l’œuvre, en accordant à la majorité seule le droit de représentation, il risque de lui faire perdre le droit de décision, qui est la manifestation de la souveraineté. C’est dans ces conséquences fatales d’une inconcevable confusion que gît en réalité tout le mal. Nous le connaissons maintenant. Avant d’en indiquer, suivant nous, l’unique remède, voyons en passant quels palliatifs l’on propose.


III.

Le premier, et, il faut bien le dire, celui qui semble avoir le plus de chances d’être adopté le jour où l’on ne pourra plus différer la réforme promise, consiste tout bonnement à augmenter le nombre des représentans et à soustraire au bon plaisir de l’administration le droit de délimiter les circonscriptions électorales. On ne sortirait pas en réalité du cercle de nos institutions actuelles, ce ne serait qu’un chassé-croisé de circonscriptions, un remue-ménage intérieur. Cette réforme, comment la réaliserait-on ? Se bornerait-on à rendre aux populations respectives le chiffre normal de députés qui leur est dû, à fixer une fois pour toutes par une loi définitive les limites des collèges électoraux? Pousserait-on l’ardeur innovatrice jusqu’à fonder les circonscriptions sur les bases des arrondissemens, en attribuant à chaque arrondissement un député? Nous avouons franchement que, dans l’un comme dans l’autre cas, au point de vue du droit et de la vérité, l’entreprise nous est indifférente. Nous ne nous arrêterons même pas à discuter si dans la première hypothèse il y aurait lieu sérieusement d’espérer une distribution des électeurs plus stable et plus conforme aux besoins lo-