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gués, mais n’en pourront jamais obtenir un onzième, car une fois le dixième député nommé, — chacun des délégués ayant été élu par un groupe de 20,000 votes, total 200,000, — tous les bulletins de ce parti auront servi chacun à un candidat; ils auront ainsi tous accompli leur fonction, et le droit des 200,000 électeurs sera épuisé. Est-ce là, oui ou non, de la représentation proportionnelle? Oui, et c’est encore une œuvre de justice, de liberté, de vérité, de paix et de politique.

Œuvre de justice, car il n’y a plus de citoyens violemment dépouillés de leur droit par la tyrannie brutale du nombre. L’égalité suprême et effective des votes est consacrée, et le droit de tout citoyen à la représentation n’a plus d’autre limite que la nécessité, — imposée par la raison autant que par la logique des faits, — d’être exercé par un groupe suffisant de volontés.

Œuvre de paix, car désormais la division du pays en deux hordes qui se combattent et se détestent n’a plus de raison d’être. Il n’y a plus en présence des ennemis qui s’entre-tuent, des vainqueurs qui accaparent et des vaincus qui sont anéantis; il y a des citoyens qui, pacifiquement, amicalement, bien que concurremment, exercent chacun pour son compte un droit sacré et imprescriptible.

Œuvre de liberté, car l’électeur n’est plus acculé entre l’abdication complète et le sacrifice de ses préférences; il n’a plus besoin, pour exister, de se mettre du côté du plus fort au prix de ses convictions et de ses sympathies, il lui suffit de rencontrer un nombre suffisant de volontés qui s’accordent avec la sienne ; il peut voter, dans l’intégrité de sa conscience et de sa liberté, pour l’homme de son opinion, de son choix, de sa confiance.

Œuvre de vérité, car désormais l’électeur pouvant nommer le mandataire qui lui plaît le plus, et non pas le candidat qui lui déplaît le moins, désormais aussi tout parti, toute nuance qui compte un certain nombre d’adhérens ne relevant que d’elle-même et pouvant vivre de sa vie propre, sans être réduite à se couvrir d’un masque qui l’étouffe, la coalition n’est plus la loi suprême de l’élection, et le député n’est plus le produit hybride d’une cote mal taillée d’opinions, la résultante hétérogène d’élémens contradictoires et violemment amalgamés, il est l’expression sincère et lumineuse des libres volontés de la fraction du pays qu’il représente.

Œuvre de politique enfin, car aujourd’hui que les suffrages se comptent et ne se pèsent pas, aujourd’hui que le flot populaire a le droit inviolable d’inonder les urnes électorales, le danger, chacun le sent, c’est l’absorption de l’intelligence par le nombre. Si le droit du plus grand nombre reste seul consacré, il est inévitable que bientôt la foule ignorante et inconsciente accapare la toute-puissance, et que les minorités éclairées se voient écrasées sans