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ressources. Eh bien ! avec la représentation proportionnelle, le péril est conjuré. Les gros bataillons demeurent, comme il est juste, en possession d’élever la voix plus haut que les autres; mais du moins les bataillons intelligens conservent le moyen de se faire entendre et l’assurance de n’être pas bâillonnés, étouffés, anéantis, par la plus brutale et la plus aveugle des tyrannies.

Nous n’avons, — on le comprend de reste, — exposé du système que la théorie générale; nous ne pouvons ici songer à le codifier dans ses menus détails. Loin de nous la prétention d’offrir du premier coup, et d’un seul jet, une application parfaite de ce grand principe à nos mœurs, à nos traditions, à notre caractère, à nos préjugés nationaux! C’est l’œuvre d’un travail de plus longue haleine, c’est surtout l’œuvre du temps et d’un concours ardent d’intelligences, de volontés et de convictions. Pourtant il est un point qu’en conscience nous ne pouvons négliger, un point capital dans la mise en œuvre du système.

La théorie pure exigerait ou du moins supposerait la suppression des circonscriptions, l’unité de collège. Ce serait en effet la condition théorique où la liberté du choix de l’électeur et le groupement des moindres minorités se rapprocheraient le plus de la perfection idéale; mais, nous sommes les premiers à le déclarer, pareille conception serait irréalisable. Il faut être avant tout pratique; or à quel électeur au monde irait-on sérieusement demander une liste de 500 noms, par ordre de préférence? Se contenterait-on de listes incomplètes? Comme sur 500 députés à élire chaque liste n’en désignerait peut-être que 40, 50, 60 au maximum, on aboutirait fatalement ou à un déficit considérable dans la représentation, dont un quart, un huitième à peine serait peut-être nommé du premier coup, ou bien à des violations funestes du principe même de proportion, les noms des députés déjà élus n’étant pas suivis d’autres noms qui les suppléent sur les bulletins subséquens, et les doubles emplois devenant dès lors innombrables. Nous repoussons donc pour notre pays la chimère de l’unité de collège. A nos yeux, la vérité pratique résiderait dans des circonscriptions assez étendues pour que chaque nuance d’opinion put y compter un groupe suffisant d’adhérens, assez restreintes pour que les électeurs pussent se réunir, s’éclairer librement et combiner leurs suffrages en connaissance de cause. Etant donné par exemple un député pour 75,000 habitans[1], on

  1. Prendre pour base de l’élection la population et non le chiffre des électeurs inscrits nous semble être une des premières conditions pour assurer la proportion normale entre la représentation et le pays. En se fondant, comme aujourd’hui, sur le nombre des électeurs inscrits, on risque, grâce à l’arbitraire toujours possible du gouvernement en matière d’inscriptions électorales, grâce aussi à l’indifférence d’un certain nombre de citoyens, d’arriver à ce résultat étrange que la représentation diminue bien que la population s’accroisse. Ce que nous proposons serait d’ailleurs en plus parfait accord avec la constitution, qui dit à l’article 31 : « L’élection a pour base la population.» A l’égard du chiffre de 75,000 habitans, qui correspond à peu près à 20,000 électeurs, il nous paraîtrait le plus propre à donner au pays une représentation suffisamment nombreuse sans tomber dans la cohue. Le nombre d’environ 500 représentans, qu’on obtiendrait ainsi, est appuyé tout à la fois par la justice et par nos précédens historiques les plus sérieux.